L’ancien président du Mouvement Desjardins Claude Béland avait certes la bosse des affaires, mais il avait surtout à cœur l’économie au service des gens. « Humaniste ». C’est ainsi que le décrivent unanimement ceux qui l’ont côtoyé durant sa vie, qui s’est achevée, dimanche matin, à l’aube de ses 88 ans. Claude Béland a poussé son dernier soupir entouré des siens, laissant derrière lui un grand héritage.

« Il est parti paisiblement, à la suite d’une condition au niveau du cœur », a affirmé avec émotion Philippe Béland, l’un de ses fils, joint par La Presse, hier.

« Il allait avoir 88 ans en janvier. Les choses se sont compliquées au cours des dernières semaines. Il est entré à l’hôpital jeudi », a-t-il précisé.

Ainsi s’est achevée la vie d’un des piliers du mouvement coopératif financier au Québec. À la tête du Mouvement Desjardins de 1987 à 2000, Claude Béland a non seulement engagé les plus importantes réformes structurelles de la coopérative, mais aussi été l’un des grands combattants de la justice sociale et démocratique du Québec.

« Claude Béland, je le qualifiais de grand humaniste. Au-delà d’un financier, c’était un homme qui se gavait de littérature, de philosophie, de sociologie, d’économie… et il sortait de là des enseignements qu’il reprenait », témoigne André Chapleau, ancien porte-parole du Mouvement Desjardins, qui a travaillé aux côtés de M. Béland de 1994 à 2000.

La fusion et le virage technologique de Desjardins

Diplôme en droit, spécialisé en droit des coopératives et en droit commercial : le chemin vers le coopératif se dessine de lui-même pour le jeune Claude Béland, qui fait ses premières armes en tant qu’avocat de l’Association de Taxis Lasalle, une coopérative. De fil en aiguille, il se taille une place jusqu’au Mouvement Desjardins en devenant l’adjoint du président, à qui il succède en 1987. Une chaise qu’il occupera avec brio durant les 13 années suivantes.

Le bilan économique de M. Béland à la tête du Mouvement Desjardins a été exceptionnel. Durant ses années à la présidence, l’actif total du Mouvement a fait un bond de 152 %. L’avoir des caisses est passé de 1,3 à 4,8 milliards, soit une hausse de 255 %. Les réserves, elles, ont connu une progression de 343 %. Un franc succès, que le principal intéressé se félicitait surtout d’avoir accompli pour le bien des membres.

C’était un grand propagandiste de la philosophie coopérative. Beaucoup de Québécois lui doivent leur première maison, leur premier important geste financier. M. Béland y est pour beaucoup, il a fait beaucoup pour le Québec et pour son économie, et je pense qu’il faut lui en être redevable.

André Chapleau, ancien porte-parole du Mouvement Desjardins

Or, malgré un succès indéniable sur le plan financier, son plus grand héritage pour la coopérative est sans doute organisationnel.

« Son fait d’armes, c’est selon moi d’avoir réussi à restructurer Desjardins », estime M. Chapleau. En fait, de 1996 à 1999, Claude Béland a piloté la fusion de la structure à trois niveaux de Desjardins, qui incluait jadis une confédération et des fédérations régionales, en une seule fédération.

« Il a réussi ça, et c’est un exploit assez grand, note M. Chapleau. Ça faisait des années que ça se parlait, et lui, il a réussi, à force de convictions et d’échanges avec les gens des caisses et des fédérations, à les convaincre du bien-fondé de cette position-là, et il a finalement gagné son pari. Ce qui a mis la table au développement fulgurant qu’a connu Desjardins. »

Des convictions à toute épreuve

« Grand humaniste », « philosophe », « orateur hors pair » : le communiqué publié par le Mouvement Desjardins déborde aussi de commentaires élogieux pour son ancien président, en selle pendant 13 années marquées par le virage technologique.

« Le Québec perd un grand homme, qui fut un ardent promoteur des valeurs coopératives, a déclaré Guy Cormier, président et chef de la direction du Mouvement Desjardins, dans un communiqué. Il a certes été, à l’occasion, critique à l’égard de Desjardins, mais cela témoignait en même temps de son attachement profond envers cette institution coopérative, dont il a assumé la présidence à un moment charnière de son histoire. »

Il était par moment critique. Mais c’était de bonne guerre. Comme le dit le dicton : “On ne peut pas empêcher un cœur d’aimer”, et M. Béland aimait Desjardins.

André Chapleau, ancien porte-parole du Mouvement Desjardins

En quittant Desjardins au terme de trois mandats, à 68 ans, pas question pour lui de prendre sa retraite. L’homme de droit a cumulé les implications sociales, les présidences et les rôles politiques durant les deux décennies qui ont suivi. Son ami Jean-Pierre Charbonneau, ex-député du Parti québécois, n’hésite pas à le qualifier de « l’une des figures de proue de la démocratie du Québec ».

PHOTO MATHIEU BÉLANGER, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Claude Béland a reçu le rang de grand officier de l’Ordre national du Québec, en juin 2014, des mains de l’ancien premier ministre Philippe Couillard.

« J’aimerais qu’on se rappelle de lui pas seulement comme un dirigeant du Mouvement Desjardins, mais aussi comme quelqu’un qui a milité toute sa vie, qui s’est battu, qui s’est promené à travers le Québec pour inciter les organismes à s’occuper davantage du pouvoir citoyen », a témoigné Jean-Pierre Charbonneau, qui était ministre responsable de la Réforme électorale et parlementaire de 2003 et aux côtés de qui M. Béland a présidé les États généraux sur la réforme des institutions démocratiques.

« Il n’a jamais arrêté. Il a toujours continué de défendre ce en quoi il croyait, ajoute M. Charbonneau. C’était un monsieur gentil. Il n’avait pas d’arrogance, pas de suffisance. C’était un gentleman avec des convictions, il pouvait être entêté, il savait défendre ses convictions, mais il n’était jamais désagréable. C’est quelqu’un qui incitait le respect. C’était un de ces vieux sages qui inspirent une société. »

Ils ont dit

J’apprends avec tristesse le décès de M. Claude Béland, ex-président du Mouvement Desjardins. Il fut très impliqué socialement pour faire avancer le Québec. J’offre mes sincères condoléances à toute sa famille et ses proches.

François Legault, premier ministre du Québec

Claude Béland était un grand homme et un grand bâtisseur du Québec. Nos pensées sont avec sa famille et ses proches.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

Claude Béland aura été, tout au long de sa vie, un grand défenseur de l’économie au service des gens, et je tiens à saluer son implication sociale et son immense contribution au mouvement coopératif québécois. Mes condoléances à sa famille et à ses proches.

Valérie Plante, mairesse de Montréal

Il représentait beaucoup pour moi. Il m’a beaucoup inspiré. J’avais l’habitude de dire que je suis allé à son école, à l’école de Claude Béland. Il représente énormément pour le Québec. Il était très soucieux d’avoir une démocratie très vivante, très représentative de la société.

Alban D’Amours, président du Mouvement Desjardins de 2000 à 2008, successeur de Claude Béland

Claude Béland en cinq dates

1987

Directeur adjoint de Raymond Blais depuis moins d’un an, Claude Béland lui succède et est élu président du Mouvement des caisses Desjardins. Le début de son mandat est, entre autres, marqué par la refonte de la Loi sur les caisses d’épargne et de crédit de même que par l’adhésion à la Confédération, en tant que membre auxiliaire, des fédérations de caisses populaires de l’Ontario, du Manitoba et de l’Acadie.

1990-1991

Le président du Mouvement Desjardins est commissaire à la commission Bélanger-Campeau, la Commission sur l’avenir politique et constitutionnel du Québec, mise sur pied par le premier ministre Robert Bourassa après le rejet de l’accord du lac Meech. Il siégera aussi au Sommet économique de 1996.

1993

Desjardins entre de plain-pied dans le commerce des valeurs mobilières dès 1988 et multiplie les acquisitions : Æterna, North American Trust, Laurier Life, Trust Prêt et Revenu. La plus importante acquisition est celle de la majeure partie des activités de la Corporation du Groupe La Laurentienne, en 1993.

1999

Dans les années 90, M. Béland engage les plus importantes réformes structurelles depuis les débuts du Mouvement. Il lance le programme de réingénierie des caisses, la reconfiguration du réseau de distribution des caisses et la restructuration organisationnelle de la Confédération. Il pilote le regroupement des fédérations régionales de caisses, de la Fédération des caisses par secteur d’activité et de la Confédération ; ce qui donne naissance à la Fédération des caisses Desjardins.

2000

Après 13 années réparties en trois mandats à la tête du Mouvement Desjardins, Claude Béland se retire. Il demeurera toutefois très impliqué dans le mouvement des coopératives. À peine retraité, il préside un comité chargé de revoir la rémunération des hauts fonctionnaires du gouvernement. Il sera ensuite nommé président des États généraux sur la réforme des institutions démocratiques en 2003, présidera le conseil d’administration du Fonds d’assurance responsabilité professionnelle du Barreau du Québec, en plus de donner des conférences sur les sujets de la gouvernance, de la démocratie et du coopératisme et d’enseigner à l’Université du Québec à Montréal ainsi qu’à l’Institut de recherche en coopération de l’Université de Sherbrooke.