En 30 ans comme agriculteur, Richard Derome n’a jamais vécu une situation aussi critique que celle qui menace actuellement sa production. Vendredi soir, il a participé à une manifestation pour dénoncer la pénurie de gaz propane liée à la grève des chefs de train et agents de triage.

« On se sent pris en otages, on est entre un gros syndicat et une grosse corporation, mais nous sommes de petites entreprises familiales », a lancé l’agriculteur de Saint-Jacques-le-Mineur. Le propane est nécessaire au séchage du maïs.

En fin d’après-midi, une douzaine de tracteurs se sont garés devant les bureaux Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN), en plein centre-ville de Montréal. Le cortège est parti de Châteauguay après l’heure du midi. Des dizaines d’autres producteurs, arrivés en voiture, se sont joints à la manifestation, organisée par la section montérégienne de l’Union des producteurs agricoles (UPA).

Le premier vice-président de l’UPA, Martin Caron, et le 1er vice-président de l’UPA Montérégie, Jérémie Letellier, se sont entretenus avec des représentants du CN après l’arrivée du cortège de tracteurs au centre-ville.

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Les agriculteurs ont emprunté le pont Jacques-Cartier pour se rendre sur l’île.

« Pour nous, c’était essentiel de passer le message de prioriser au niveau du propane quand on arrive au niveau du transport, a dit M. Caron en point de presse. C’est une priorité vu que c’est critique. »

Il n’a pas voulu s’avancer sur des solutions qu’auraient pu avancer par le CN.

« Je reste surpris qu’on soit obligés de venir ici et d’expliquer [le problème], a-t-il ajouté. C’est vraiment insultant, en tant que producteur agricole, de se faire dire : voyons, vous manquez de propane ? »

Pour l’instant, le propane est acheminé selon les priorités, en raison de la grève. Les hôpitaux, les centres pour personnes âgées, notamment, sont priorisés. Dans le monde agricole, les productions animales passent avant les cultures végétales. Un camion-citerne ne peut acheminer qu’un tiers de la quantité transportée par un wagon-citerne.

Il s’agit cependant d’une tuile supplémentaire sur la tête des producteurs de maïs-grain, qui récoltent dans des conditions catastrophiques depuis la tempête hivernale précoce. Une fois récolté, le maïs doit être séché, sans quoi sa qualité risque d’être compromise.

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L’année a été particulièrement difficile avec un printemps tardif, un été sec, suivi de pluies et de grands vents, avant une première neige arrivée tôt à l’automne.

« D’habitude, on a un printemps merdique et un bel automne ou l’inverse, a illustré Julie Stichelbout, productrice de grandes cultures à Saint-Jean-sur-Richelieu. Là, c’est une année à oublier. Et avec la grève qui nous tombe dessus en plus… Ça fait plusieurs problèmes. »

La culture du maïs-grain — c’est-à-dire le type de maïs destiné à l’alimentation animale ou à la production d’éthanol — est la production végétale la plus importante au Québec en matière de superficie, après celle du foin.

« Nous, on est le premier maillon de la chaîne, les animaux dépendent de ça, a dit Ange-Marie Delforge, de Coteau-du-Lac. Après, c’est le consommateur qui va payer son steak plus cher. »

Elle a déploré les coûts importants liés à la pénurie du propane, rappelant que les producteurs avaient déjà payé les coûts pour le gaz.

Plusieurs manifestants ont aussi souligné les problèmes de stress particulièrement élevé chez les agriculteurs ces temps-ci.

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« Il ne faut pas négliger la santé mentale des producteurs, a noté Rémi Brault. Il y a beaucoup de producteurs stressés. C’est la goutte qui fait déborder le vase. »

L’agriculteur de Sainte-Martine brandissait une pancarte où il avait écrit « sans propane, il y a urgence ». Il souhaitait une solution rapide, ou du moins, un répit pour terminer le travail. « On voudrait que les deux parties trouvent une solution, ou au moins, qu’ils fassent une trêve de 72  h pour nous permettre d’avoir du propane. Ça nous aiderait énormément », a-t-il dit.

Le gouvernement Trudeau continue d’écarter une loi spéciale pour mettre fin au débrayage des quelque 3200 cheminots du CN, estimant que c’est par la négociation que l’impasse sera dénouée.

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Selon la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada (CFTC), la pénurie de propane évoquée au Québec « serait fabriquée de toutes pièces » par le CN, qui a décidé de prioriser d’autres marchandises, alors que « plus de 1800 ingénieurs de locomotives et plus de 600 superviseurs » continuent d’exploiter des trains.

En réponse à la sortie des Teamsters, le CN a affirmé que son « petit bassin de cadres qualifiés » ne lui permet d’assurer qu’environ 10 % de son service habituel sur son réseau canadien s’échelonnant sur 22 000 km.

Chose certaine, les agriculteurs n’ont pas l’intention d’en rester là et promettaient de revenir, avec leurs tracteurs, manifester lundi si la situation n’était pas dénouée.

– avec La Presse canadienne