Andreea Crisan avait 11 ans lorsque son père et sa mère ont décidé de quitter la Roumanie pour venir s’installer à Montréal, en janvier 2001. Son père, Ilie Crisan, qui avait été chauffeur d’autobus et opérateur d’une entreprise de transport d’équipes sportives dans son pays, ne parlait ni le français ni l’anglais.

Impossible pour lui de conduire un autobus au Québec. Il décide d’acheter un camion, devient chauffeur contractuel et fonde Andy Transport, qui compose aujourd’hui le huitième parc en importance au Québec avec ses 350 camions et 800 remorques.

Andreea Crisan, 29 ans, a été honorée il y a 10 jours lors du Gala du Grand Prix de l’entrepreneur 2019 d’E & Y en remportant le titre d’entrepreneure de l’année dans la catégorie Entreprises de services.

« Je ne m’attendais pas à ça. C’est une connaissance qui m’a convaincue de participer et qui m’a référée au Concours. On a dû réaliser une série d’entrevues avec les gens d’Ernst & Young, c’était très professionnel.

« Je ne pensais jamais qu’on serait finaliste dans la catégorie Services, et encore moins qu’on gagnerait. C’est une très belle surprise qui fait du bien », souligne la gestionnaire, avocate de formation, qui épaule son père depuis qu’elle a 11 ans et dont le prénom a inspiré fortement celui de l’entreprise familiale.

Au cours des cinq dernières années, Andy Transport a figuré au sein du palmarès des 500 entreprises canadiennes qui affichent la plus forte croissance des revenus au pays.

L’entreprise a occupé le 166e rang en 2014, le 153e en 2015, le 157e en 2016, le 198e en 2017 et le 304e en 2018, pour une hausse totale de 217 % sur cinq ans.

Andy Transport a acheté un premier terminal à Valleyfield en 2011, puis en a ouvert un à Mississauga, en Ontario, à Montréal et à Boucherville. L’entreprise a aussi ouvert un premier centre de distribution dans la région de Montréal en 2016.

Il y a trois ans, l’entreprise a lancé une nouvelle division, Gestion de flotte Tristan, qui est propriétaire de six garages dans la région de Montréal. Ses 70 mécaniciens s’occupent des camions d’Andy Transport, mais réalisent près de la moitié de ses revenus auprès d’autres opérateurs de flottes ou de camionneurs indépendants.

Des débuts laborieux

En 2001, lorsque Ilie Crisan a débarqué à Montréal, la situation dans le monde du transport routier n’avait rien à voir avec celle d’aujourd’hui. Il n’y avait aucune embauche possible. C’est pourquoi il a dû prendre toutes ses économies pour acheter un camion usagé et travailler comme sous-traitant.

Quelques mois plus tard, il achète un deuxième camion et embauche un chauffeur avec qui il travaillera en équipe. C’est Andreea qui, à 11 ans, s’occupe des payes. « C’était simple, je prenais le nombre de kilomètres parcourus, je faisais le calcul, puis le chèque », résume-t-elle.

Son père réalise rapidement l’achat d’un autre camion, puis d’un quatrième. En 2007, le camionneur roumain laisse la sous-traitance pour lancer sa propre entreprise : Andy Transport. Le nouvel acteur a ses propres clients, ses assurances, ses permis et décroche un important contrat au Texas. Le parc compte alors 16 camions et 32 chauffeurs.

Puis, ç’a été la récession de 2008. Mon père a gardé seulement cinq camions en opération. Il a mis au rancart le reste de la flotte et a dû congédier beaucoup de chauffeurs.

Andreea Crisan

« Ç’a été des années difficiles, mais la récession nous a permis de décrocher de nouveaux clients. En 2010, on avait 20 camions-remorques et un petit bureau. On ne faisait plus l’administration de la maison. »

En 2011, Andy Transport rachète à Valleyfield un terminal qui appartenait à Léger Transport, qui a fait faillite durant la récession. Situé sur le bord de l’autoroute 30, le site est équipé d’un garage de cinq portes et de vastes espaces de bureaux. « C’était trop pour nous, on voulait s’associer avec un autre groupe, mais rapidement, nos affaires ont pris de l’expansion », rappelle Andreea.

Elle plonge pour de bon

C’est à cette époque qu’Andreea Crisan revient à temps plein chez Andy Transport.

« En 2012, j’ai terminé mes études en droit. J’avais fait un stage en Chine et j’ai fait mon barreau à Montréal. Même si j’étais toujours restée associée à Andy, c’est cette année-là que je deviens vice-présidente exécutive et que je m’occupe du développement des affaires, des assurances, de la sécurité, de tous les aspects opérationnels.

« Mon père s’occupe plus du développement physique de l’entreprise, de l’ouverture de nouveaux terminaux, des centres de distribution et de logistique. »

On est les seuls actionnaires de l’entreprise et on a toujours financé notre expansion à même nos fonds autogénérés et via du financement bancaire traditionnel.

Andreea Crisan

« Cela dit, toute notre croissance s’est faite jusqu’à date de façon organique. Là, on est prêts à faire des acquisitions et à prendre des partenaires financiers avec nous », précise Andreea Crisan.

Si Andy Transport n’a pas encore réalisé de transactions pour prendre de l’expansion, elle attise un intérêt certain auprès d’acquéreurs potentiels, notamment de plusieurs fonds d’investissement américains.

Mais pour la famille Crisan, il n’est pas question de vendre. Le fondateur Ilie cultive encore de grandes ambitions et sa fille Andreea voit aussi à long terme, d’autant qu’elle donnera naissance en début d’année à une fille qui pourrait très bien décider de poursuivre l’aventure dans une trentaine d’années.