Combien avez-vous dit, 21 % ? Ai-je bien compris, je suis un peu dur d’oreille, vous demandez des hausses salariales de 21 % sur trois ans ?

Je suis tombé en bas de ma chaise en entendant ces requêtes syndicales. Les demandes sont plus précisément de 21,6 % sur trois ans pour les infirmières et d’environ 19 % pour les enseignants. En ajoutant les autres employés, parlons de hausses moyennes globales avoisinant les 15 à 20 % sur trois ans (1).

Ces demandes sont éléphantesques comparées aux offres modestes du gouvernement. Québec propose l’équivalent de l’inflation pour la plupart des employés (2 %), en plus d’une majoration pour les enseignants et les infirmières auxiliaires, notamment.

Les négociations s’annoncent donc très difficiles. Elles risquent même d’être les plus coriaces depuis longtemps, les employés du public, affamés, flairant les surplus de l’État et constatant la vigueur exceptionnelle de l’économie québécoise.

Mais 21 % ? Oui, bon, c’est une position de départ, mais selon moi, le règlement final n’atteindra pas même le point milieu d’environ 11 % sur trois ans pour les 420 000 employés de l’État.

Je l’ai écrit à de très nombreuses reprises : certains employés sont tout à fait en droit de réclamer davantage, après des années de vaches maigres. Globalement, les fonctionnaires du gouvernement du Québec gagnent 6,6 % de moins que les autres salariés québécois, selon l’Institut de la statistique du Québec (ISQ). Cette estimation tient compte de tout : vacances, avantages sociaux, régimes de retraite, etc. La rémunération est maintenant semblable à celle du privé, bien que, faut-il dire, le public garde l’avantage de la permanence (2).

Pour les enseignants et les infirmières – non compris dans la comparaison de l’ISQ –, des écarts d’environ 11 % sont aussi constatés, cette fois avec leurs collègues des autres provinces, selon des données de Statistique Canada que j’ai décortiquées. Le Québec vient même au dernier rang canadien pour la rémunération des enseignants et des infirmières (3).

Je le répète, il faut donc majorer la rémunération de certains des employés de l’État – pas tous –, d’autant plus qu’avec la forte demande de main-d’œuvre au Québec, il commence à manquer d’enseignants et d’infirmières.

Mais 21 % ?

Certains me disent que le gouvernement a suffisamment d’argent pour payer ces demandes. Il y parviendrait même, disent-ils, en réallouant simplement l’argent récupéré des médecins, qui pourrait atteindre, au gros maximum, 1 milliard de dollars.

Permettez que je vous contredise ? Au Québec, la masse salariale des 420 000 employés de l’État – enseignants et infirmières compris – avoisine les 40 milliards cette année. Une hausse récurrente de 15 % à 20 % des salaires au terme des trois ans équivaut donc à une ponction récurrente de 6 à 8 milliards dans le budget de l’État.

Les syndicats réclament donc de six à huit fois plus que ce que le gouvernement pourrait récupérer au maximum dans les poches des médecins. On est loin du compte.

Oui, mais les surplus budgétaires ? Cette année, les excédents avoisineront possiblement les 2,5 milliards, si l’on se fie aux récents rapports du ministère des Finances du Québec. Il est loin d’être assuré que ces surplus seront récurrents au cours des prochaines années. On en saura plus à la mise à jour budgétaire, le jeudi 7 novembre prochain.

Mais supposons qu’ils soient récurrents, peu importe la situation économique des prochaines années. Et supposons qu’on les consacre totalement aux hausses salariales en y ajoutant l’argent des médecins, la somme atteindrait, quoi, 3,5 milliards, ce qui n’équivaut pas à la moitié des 8 milliards réclamés.

Est-il bon de rappeler, tout de même, que les employés de l’État ne sont pas les seuls à avoir fait des sacrifices ces dernières années ? Les contribuables y ont goûté, tout comme les bénéficiaires des services de l’État (patients, personnes âgées, automobilistes, etc.). Ces groupes ont aussi droit à leur part du gâteau. Bref, les syndicats réclament nettement trop.

Évidemment, ce n’est pas ce que vous entendrez au cours des prochains mois. Vous pouvez compter sur le puissant mouvement syndical pour inonder les médias et les réseaux sociaux de leur message : les employés du public ont des conditions de misère et méritent plus.

Les porte-parole syndicaux le répéteront sans cesse, saisissant toutes les carences de l’État et les dysfonctions de notre système économique pour justifier leurs demandes, à tort ou à raison. À force de le répéter, ils finiront par rallier une partie de l’opinion publique, et quand le public est de votre côté, la question devient politique, et les élus deviennent alors plus perméables.

Personne ne sera surpris par cette description stratégique. C’est le rôle des syndicats – tout à fait louable – de défendre leurs membres, ce pourquoi ils perçoivent des cotisations. Sauf que les syndicats ne rattraperont pas 25 ans de pingrerie budgétaire en une seule négociation. Il faudra plusieurs années pour que les employés de l’État rejoignent la moyenne canadienne, et ce sera tant mieux.

En attendant, les syndicats font miroiter des cibles tellement hautes que leurs membres seront nécessairement déçus, même si certains recevront, au bout du compte, bien davantage que l’inflation.

(1) Les demandes diffèrent passablement d’un groupe à l’autre. La réclamation de 21,6 % vient de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) et de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), tandis que celle de 19 % vient de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE).

(2) L’étude de l’ISQ a été faite pour 74 emplois repères dans les organisations du public et du privé de 200 employés et plus. L’écart avec les autres employés québécois qui sont syndiqués est défavorable de 21 %, mais il est favorable de 7 % par rapport aux non syndiqués.

(3) Pour les enseignants, l’écart est de 34 % après 10 ans d’exercice et de 11 % après 15 ans d’exercice (les semaines de travail sont toutefois plus courtes au Québec). Pour les infirmières, une partie de l’écart s’explique par le fait que dans le reste du Canada, on exige généralement une formation universitaire, ce qui n’est pas le cas au Québec.