Les grandes sociétés québécoises tardent à faire une place égale aux femmes, tant dans leurs conseils d’administration que dans leurs équipes de direction. Pourtant, les études montrent que les pays et les entreprises se privent de richesse en ne faisant pas tout leur possible pour s’assurer que les femmes puissent participer pleinement au marché du travail, et ce, à tous les échelons. Discussion avec Stéphanie Leblanc, associée aux transactions et leader à l’innovation pour le Québec, de PwC.

Que disent vos recherches sur les femmes ?

Nos études démontrent que le Canada est 10e parmi les 33 pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) quand vient le temps de mesurer la place accordée aux femmes dans l’économie en vertu de cinq indicateurs, dont l’écart salarial avec les hommes – pour chaque tranche de 100 $ gagnée par un homme, les femmes en gagnent 87 $ – et le pourcentage de femmes actives. Ce qu’on remarque, c’est qu’on est dans la même position depuis cinq ans, ça n’a pas évolué.

Pourtant, il y a des avantages à encourager le travail et le succès des femmes à tous les niveaux, notamment dans les entreprises, où cela augmente les profits, non ?

Oui, ç’a été démontré par maintes études, dont l’une de Harvard que nous évoquons dans nos recherches. Avoir de la diversité a un effet sur les revenus. Et ça en prend un minimum pour assurer une réelle représentation. La diversité et l’inclusion ont une influence notamment sur la capacité d’innovation des entreprises. Et qui dit plus d’innovation dit plus de revenus et plus de bénéfices. L’étude de Harvard montre que les revenus sont 19 % plus élevés quand il y a de la diversité et que les marges de profit sont 9 % plus élevées. La diversité a un effet marqué.

Pourquoi les entreprises s’en privent-elles, alors ?

C’est un cercle vicieux. Souvent, la diversité amène la diversité. Plus il y a de diversité à la tête des sociétés, plus il y a de la diversité à l’embauche et, donc, il y aura un plus grand bassin d’employés diversifiés pour de possibles promotions à la direction… Pour enclencher la diversification, il faut donc se pencher sur la question des préjugés inconscients dans les processus d’embauche. Il faut recruter plus large. Signe pour l’avenir : la génération Y ne s’intéresse pas aux entreprises où il n’y a pas de diversité.

Pourquoi la diversité au sein des entreprises change-t-elle les choses ?

La diversité permet un leadership différent, moins basé sur l’autorité et plus sur les relations, sur le tact, le soin, l’influence. La diversité permet aussi le choc des idées : si tout le monde pense de la même façon, il n’y a pas de nouvelles idées qui arrivent dans la discussion, rien n’est remis en question. Or, l’innovation, c’est ça : de nouvelles idées, de nouvelles solutions. C’est essentiel pour toute entreprise qui veut avancer. Autre élément important : la diversité dans les entreprises doit être à l’image de celle de la société.

Comment atteint-on plus de diversité ?

Il faut d’abord faire un diagnostic clair de la situation au sein de l’entreprise avec des indicateurs de rendement pour pouvoir mesurer si on progresse et comment on progresse. Il faut aussi établir des objectifs. Par exemple, chez PwC, on a déterminé qu’à partir de 2020, on voulait nommer autant de nouvelles associées femmes que de nouveaux associés hommes chaque année. Et voilà cinq ans qu’on bâtit le pipeline pour que cela soit possible. On a créé un système de « sponsorship » pour aider les femmes à progresser. On a mis des mesures en place pour prendre conscience des préjugés inconscients. On en a fait une stratégie d’affaires en sachant que cela aiderait notre performance. Donc, les hommes sont partie prenante à cette démarche. Ça fait partie du « livrable ».

Mais comment convaincre les hommes au pouvoir qu’ils ont intérêt à changer un système qui les a bien servis jusqu’à présent ?

Il faut que les entreprises soient cartésiennes et comprennent que leur chiffre d’affaires est touché. C’est payant d’embaucher des femmes et d’en avoir à la direction. L’effet, côté argent, est clair. L’autre chose, c’est que les Y, la génération qui arrive, qui entrent sur le marché du travail, donc les travailleurs et les clients de demain, le demandent. Donc, c’est ce que ça prend dans le monde d’aujourd’hui.