Le groupe de boutiques de lingerie féminine La Vie en Rose a réalisé le mois dernier sa première percée en Chine avec l’ouverture d’un magasin dans la ville de Guangzhou, dans le sud du pays. L’intention de François Roberge, propriétaire et PDG de La Vie en Rose, qui exploite un réseau de 360 boutiques, dont 95 à l’extérieur du Canada, est d’ouvrir une dizaine de boutiques dans les deux prochaines années dans la même ville avant de poursuivre son expansion dans l’ensemble du marché chinois.

Vous faites des affaires avec la Chine depuis plus de 20 ans et vous avez entrepris votre expansion internationale il y a maintenant 15 ans. Pourquoi avoir attendu 2019 avant de mettre le pied à terre en Chine ?

J’ai commencé à aller en Chine en 1997 lorsqu’on a décidé de développer notre propre marque de commerce plutôt que de vendre les marques établies. À un certain moment, la Chine était responsable de 80 % de nos approvisionnements, comparativement à 50 % aujourd’hui.

Ça fait quelques années que l’on veut tester le marché chinois, mais on a eu d’autres défis à relever. Il fallait mettre en place les assises de notre prochaine croissance, changer notre système informatique et notre plateforme Web, déménager notre siège social et notre entrepôt. Mais l’an dernier, on s’est dit : il faut y aller, sinon on va rater notre chance.

On a choisi la ville de Guangzhou parce que c’est une ville de 18 millions d’habitants, à proximité de Hong Kong, où sont situés nos entrepôts pour l’Asie et le Moyen-Orient.

PHOTO FOURNIE PAR LA VIE EN ROSE

La Vie en Rose a ouvert une première boutique à Hangzhou, en Chine.

Pourquoi avez-vous choisi d’ouvrir votre propre boutique plutôt que d’y aller par franchisage comme vous l’avez fait pour votre développement international, notamment pour votre implantation au Moyen-Orient ?

Parce que le concept de franchises maîtresses s’essouffle. On avait l’habitude de vendre plus cher qu’au Canada, mais avec le développement des ventes en ligne, cela pose problème. De plus, on n’a pas le contrôle du rythme d’ouverture de nouveaux magasins, ça dépend du franchisé. Là, on veut être maîtres de notre destin.

On commence par une boutique, mais on prévoit en avoir une dizaine d’ici deux ans. Le centre commercial PO Park, où on a établi notre première boutique, profite d’un achalandage de 38 millions de visiteurs par année.

Il y a 70 autres centres commerciaux à Guangzhou, il y a donc de la place. Si on veut comparer, on a sept boutiques à Québec, qui compte 700 000 habitants. Là-bas, ils sont 18 millions…

Vous souhaitez aussi réaliser une percée aux États-Unis, un marché où vous n’avez pourtant jamais essayé de vous établir. Pourquoi, là encore, avoir attendu aussi longtemps ?

J’avais peur d’y aller. Peur de la présence de Victoria’s Secret. Mais le marché change. Victoria’s Secret ne s’est pas adapté et a continué de frapper sur le clou de la beauté, de la perfection du corps de la femme.

On n’est plus là du tout. Cela fait 12 trimestres consécutifs que les revenus de Victoria’s Secret déclinent. On prévoit ouvrir les premières boutiques à proximité des frontières, Plattsburgh, Burlington, Buffalo…

On va y aller par petits pas en nous ajustant au fur et à mesure. Il y a deux groupes canadiens qui ont réussi aux États-Unis : Aldo et Lululemon. C’est un marché qui reste difficile d’accès.

Votre avez plus de 260 boutiques au Canada, où votre activité est arrivée à maturité. Est-ce que la hausse des transactions en ligne va modifier vos activités en magasin ?

On reste une entreprise de briques et de mortier. Les ventes en ligne ne représentent que 5 % de nos revenus. On a rénové plusieurs de nos magasins et on continue de le faire, à même nos liquidités. Mais il faut rester vigilant. Le commerce au détail, ça change maintenant tous les trois à cinq ans.

C’est pourquoi on est en train de tout refaire notre site transactionnel, et c’est aussi pourquoi on prépare la relève. J’ai 56 ans et j’ai dit à mes enfants que je cesserais de travailler à 60 ans.

Le plus grand danger pour une entreprise de vêtements, c’est d’être dirigée par quelqu’un qui n’est plus près du marché. Victoria’s Secret est dirigé par un homme de 80 ans, même chose pour Le Château ou Laura. La moyenne d’âge de notre clientèle est de 35 ans. C’est pourquoi je me suis entouré de jeunes.

Est-ce que vos enfants sont prêts à prendre la relève ?

On verra. Je travaille pour la prochaine grande croissance du groupe et pour la relève. Mon fils Roméo est présentement président de Bikini Village, et il va venir m’épauler l’an prochain aux opérations de La Vie en Rose. Ma fille Amélia accompagne ma femme comme responsable des achats et ma nièce s’occupe du design.

Ils vont être en mesure de décider s’ils veulent poursuivre le travail lorsque je quitterai les opérations. Chose certaine, on va continuer de les accompagner s’ils décident de poursuivre.

Au sujet de Bikini Village, est-ce que la chaîne répond à vos attentes de rentabilité ?

Oui, on a acheté la chaîne il y a quatre ans et demi lorsqu’elle était en faillite, et cela nous a pris deux ans pour la redresser. Elle comptait 48 magasins et on est rendu maintenant à 65 boutiques à travers le Canada. Il nous reste Terre-Neuve et la Saskatchewan à couvrir.

Une fois qu’on aura 75 boutiques, ce sera le maximum. Bikini Village a besoin d’un bassin de 250 000 personnes pour être rentable, parce qu’on n’y vend que des maillots de bain. Alors que La Vie en Rose peut évoluer dans un marché de 50 000 personnes avec son mix à peu près égal de maillots de bain, de lingerie féminine et de pyjamas.

Avez-vous déjà reçu des offres d’achat pour vos magasins ?

On en reçoit beaucoup, toujours de belles offres. Ça devient distrayant pour rien et je ne m’en occupe même plus, je les transfère directement à notre président du conseil.

On vient d’acheter l’ancienne usine Christie dans Hochelaga-Maisonneuve, où on va déménager notre siège social. On était rendus vraiment à l’étroit.

En juillet, on a déménagé notre entrepôt et ses 85 employés, et les 225 personnes du siège social vont suivre dans les prochains mois. On va avoir plus de place pour mieux planifier.