Même si le Québec n’importe pas de pétrole de cette région du monde, les attaques de drone contre les installations pétrolières de l’Arabie saoudite feront grimper le prix de l’essence à la pompe.

De combien et pour combien de temps ? La réponse à ces questions dépend du temps qu’il faudra au plus important producteur mondial pour remettre en état les installations touchées par les explosions, estiment les analystes.

« Une partie de la production perdue pourrait être de retour dans quelques jours, mais l’Arabie saoudite a fait savoir qu’une reprise à 100 % pourrait prendre des semaines ou des mois », soulignait hier le vice-président de la Banque Scotia, Derek Holt, en tentant de cerner les impacts possibles des événements.

À la pompe, la hausse des prix ne devrait pas tarder. Comme toujours lors de perturbations importantes, toute la chaîne d’approvisionnement s’en ressent instantanément, explique Carol Montreuil, vice-président de l’Association canadienne des carburants. « C’est un marché global, qui réagit sur-le-champ », dit-il.

Donc, peu importe si le prix dans les réservoirs des raffineurs et dans ceux des détaillants n’a pas changé, ça coûtera plus cher pour faire le plein. Les automobilistes peuvent penser que les détaillants augmentent vite leurs prix quand le brut monte et prennent du temps à le réduire quand il baisse, mais sur une longue période, le prix de l’essence suit toujours le cours du brut, assure-t-il.

1988 : à 69,02 $ US le baril, le prix du pétrole Brent a augmenté hier de 14,6 %, son plus fort gain en pourcentage depuis au moins 1988.

2008 : en hausse de 14,7 %, à 62,90 $ US le baril, le prix du pétrole américain West Texas Intermediate (WTI) a enregistré sa plus forte hausse quotidienne depuis décembre 2008.
Source : Reuters

Le spécialiste Michael Ervin, vice-président de Kent Group, croit pour sa part que l’impact à la pompe sera limité. « La demande d’essence diminue significativement à cette période-ci de l’année, explique-t-il, et ça exerce une pression à la baisse sur les prix. »

Selon lui, les producteurs américains peuvent aussi augmenter rapidement leur production et limiter ainsi la hausse du prix du brut.

Prix du litre d’essence hier à Montréal : 123,7 cents

Composition du prix :
69,2 cents (composante pétrole, 56 %)
48,3 cents (taxes, 39 %)
6,2 cents (marge de détail, 5 %)
Source : Régie de l’énergie

Effet limité

L’attaque sans précédent contre les installations pétrolières saoudiennes a éliminé 6 % de la production mondiale de pétrole, soit 5,7 millions de barils par jour. Le prix du brut a bondi sur les marchés : tant le Brent de la mer du Nord que le baril de West Texas Intermediate, la référence du marché américain, ont augmenté de presque 15 %, avant de fléchir un peu en fin de journée.

Cette hausse de prix devrait être limitée, estime pour sa part Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal et spécialiste de l’énergie.

On est dans une période où la consommation stagne, les sources d’approvisionnement sont abondantes et les stocks sont élevés.

Pierre-Olivier Pineau

La hausse soudaine du prix du brut pourrait toutefois s’inviter dans la campagne électorale en cours, prévoit toutefois le professeur. « Parce qu’ils ont un accès limité aux marchés, les producteurs canadiens ne profiteront pas autant que les autres de l’envolée des prix, explique-t-il. Ça va augmenter la frustration de l’Alberta et illustrer de façon concrète la situation énergétique canadienne. »

Le pétrole consommé au Québec vient essentiellement de l’Ouest canadien (53 %) et des États-Unis (40 %). Au Canada, seule la raffinerie Irving du Nouveau-Brunswick importe encore du pétrole de l’Arabie saoudite.

Les États-Unis, qui ont longtemps dépendu du pétrole saoudien, n’en importent presque plus et pensent pouvoir se passer complètement du pétrole étranger en 2020.

Où va le pétrole saoudien ?

Japon : 21 %
Chine : 17 %
États-Unis : 15 %
Corée du Sud : 14 %
Inde : 12 %
Singapour : 3,3 %
Afrique du Sud : 2,7 %
France : 2,2 %
Source : Observatory of Economic Complexity (OEC)

Risque de spéculation

Même si la planète ne manque pas de pétrole, des prix élevés pourraient perdurer si le conflit géopolitique s’envenime au Moyen-Orient. Dans un marché comme celui du pétrole, la spéculation à la hausse peut avoir un impact plus important que les événements eux-mêmes, rappelle Carol Montreuil.

Pour limiter les dégâts, le président américain Donald Trump s’est empressé d’annoncer que les réserves stratégiques de pétrole des États-Unis (650 millions de barils stockés au Texas et en Louisiane) pourraient être utilisées au besoin pour maintenir l’équilibre dans les approvisionnements mondiaux.

PHOTO CHRISTOPHER PIKE, ARCHIVES REUTERS

L’Arabie saoudite est considérée comme le principal producteur d’ajustement au monde. Autrement dit, elle est le pays qui dispose de la meilleure capacité à ajuster rapidement sa production, à la hausse ou à la baisse, pour contrôler les prix.

Au cœur du marché mondial du pétrole

L’Arabie saoudite a perdu en 2013 le titre de plus important producteur mondial de pétrole qu’elle portait depuis des décennies, mais elle occupe encore une place capitale sur l’échiquier énergétique mondial, d’où les répercussions économiques observées depuis quelques jours.

Principaux producteurs de pétrole en 2018 (en millions de barils par jour)

États-Unis : 17,87
Arabie saoudite : 12,42
Russie : 11,4
Canada : 5,27
Chine : 4,82
Total mondial : 100,66
Source : Energy Information Administration des États-Unis

Rôle crucial

Parce que les États-Unis sont aussi les plus grands consommateurs de pétrole au monde, l’Arabie saoudite est le plus grand exportateur net. L’Arabie saoudite est aussi considérée comme le principal producteur d’ajustement au monde. Autrement dit, elle est le pays qui dispose de la meilleure capacité à ajuster rapidement sa production, à la hausse ou à la baisse, pour contrôler les prix.

Un « tournant »

Nous estimons que [l’attaque de samedi] contre la très importante installation de traitement arabe d’Abqaïq (dont la capacité est de 7 millions de barils par jour) et le champ pétrolifère de Khurais (1,5 million de barils par jour) est un tournant [game changer] dans l’escalade de l’affrontement entre l’Iran et ses voisins. Il s’agit de l’attaque la plus importante jusqu’à présent contre l’infrastructure énergétique de l’Arabie saoudite.

Helima Croft, chef mondiale de la stratégie des commodités pour RBC Marchés des capitaux, dans une note publiée samedi

Des inquiétudes

L’attaque de samedi pourrait avoir des répercussions à long terme sur la confiance des marchés, ont estimé plusieurs analystes. C’est qu’elle a fait la démonstration qu’il était possible, voire étonnamment simple, d’affecter considérablement la production arabe. « Ces attaques soulignent que des groupes armés ont simplement besoin d’être chanceux une fois pour détruire l’image d’invulnérabilité du Royaume », a écrit Mme Croft, de la RBC. « La question ne sera pas simplement de savoir quand les installations seront de nouveau fonctionnelles, mais si elles peuvent l’être de façon sûre », a pour sa part estimé Phil Flynn, stratège du pétrole brut pour le Price Futures Group, comme l’a rapporté MarketWatch.

160 : nombre approximatif de litres dans un « baril » de pétrole

268 milliards de barils

Réserves de pétrole prouvées de l’Arabie saoudite. C’est environ 18 % des réserves mondiales et cela place le pays au deuxième rang, derrière le Venezuela. Le Canada suit au troisième rang, avec des réserves d’environ 170 milliards de barils.

Des prix mondiaux

Bien qu’il existe quelques obstacles logistiques, notamment le transport et l’existence de différentes variantes de pétrole brut, le pétrole circule assez librement partout dans le monde pour que le jeu de l’offre et de la demande soit mondial. Une baisse de l’offre de pétrole arabe a donc des répercussions partout, même chez ceux qui s’approvisionnent ailleurs (comme le Québec), puisque ceux qui achetaient le pétrole arabe se tournent vers d’autres fournisseurs et font augmenter la demande dans les autres marchés.

Une entrée en Bourse reportée ?

Le pétrole de l’Arabie saoudite est exploité par la société d’État Saudi Aramco. Considérée par certaines sources comme l’entreprise la plus profitable du monde, Saudi Aramco mijotait une entrée en Bourse spectaculaire au cours des prochains mois. Les événements de la fin de semaine ont toutefois créé une incertitude qui pourrait reporter cet événement.

PHOTO FAYEZ NURELDINE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

L’attaque met en question la capacité du royaume à protéger ses installations pétrolières, dont dépendent principalement ses revenus, en dépit d’investissements massifs dans leur protection.

Les gagnants et les perdants de la crise

Les prix de l’or noir ont connu hier leur plus forte envolée en cours de séance depuis 1991 à la suite de l’attaque contre un site pétrolier de l’Arabie saoudite, qui a vu sa production brutalement divisée par deux. Qui sont les gagnants et les perdants de cette envolée des cours et du brusque regain de tensions géopolitiques ?

Arabie saoudite : le grand perdant

L’attaque met en question la capacité du royaume à protéger ses installations pétrolières, dont dépendent principalement ses revenus, en dépit d’investissements massifs dans leur protection.

Le projet d’introduction boursière d’Aramco, la société d’État propriétaire des sites visés, pourrait en pâtir, car l’attaque risque de « peser sur [sa] valorisation » : si l’entreprise, ses infrastructures et ses réserves sont à risque, « les investisseurs en voudront plus pour leur argent », explique Neil Wilson, analyste chez Markets.com.

OPEP en demi-teinte

L’attaque a dopé des prix du brut que les membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) tentaient depuis des mois de soutenir en s’engageant collectivement à limiter leur offre.

Les membres et partenaires de l’alliance pétrolière devraient par ailleurs être disposés à combler sur le court terme le manque de production de Riyad, ce qui générera pour eux des recettes d’autant plus importantes, estime Craig Erlam, analyste chez OANDA.

L’attaque et les tensions entre deux pays membres mettent toutefois au jour les dissensions au sein de l’organisation et ternissent sa réputation de force de régulation sur le marché mondial.

États-Unis : gagnants, mais…

Les États-Unis devraient profiter de cette attaque contre le géant saoudien, grâce à leur production pétrolière, la plus importante du monde, dynamisée par l’exploitation massive du pétrole de schiste, selon les analystes de JBC Energy.

« Les États-Unis vont juste continuer à pomper et les prix plus élevés ne feront que soutenir la croissance de la production américaine », renchérit Neil Wilson.

Le président Donald Trump a annoncé que son pays pourrait utiliser ses réserves stratégiques de pétrole pour « pallier tout choc sur le court terme », observe David Cheetham, analyste chez XTB, ce qui positionne les États-Unis désormais exportateurs comme une force alternative de régulation de l’offre pétrolière.

En revanche, l’envolée des cours de l’or noir pourrait peser encore plus sur une croissance déjà ralentie.

Nouveau coup pour la Chine

La Chine, déjà empêtrée dans un conflit commercial avec les États-Unis, devrait souffrir de l’attaque qui pourrait peser sur son économie très gourmande en énergie et donc dépendant largement des cours du pétrole.

L’Iran menacé de représailles

L’Iran, frappé de sanctions américaines qui l’empêchent de vendre son pétrole à l’étranger, est accusé par les États-Unis d’être à l’origine de l’attaque de samedi. Le président Donald Trump a menacé de représailles la république islamique.

La Russie bien placée

En tant que partenaire de l’OPEP et de deuxième plus grand exportateur de pétrole, la Russie fait « certainement partie de ceux qui sont prêts à remplir un vide si besoin est », et devrait donc profiter de la situation sur le court terme, estime Craig Erlam.

Cela dit, tempère-t-il, « il faut voir dans quels délais l’Arabie saoudite arrivera à relancer sa production ».

— Agence France-Presse