On répète depuis des années que les entreprises québécoises doivent hausser de façon notable leur productivité pour mieux rivaliser avec leurs concurrentes canadiennes et américaines, mais la réalité nous rappelle cruellement que les manufacturiers québécois tardent toujours à prendre le virage numérique malgré la pléthore d’incitatifs fiscaux que les gouvernements ont mis à leur disposition au fil des ans.

C’est l’un des tristes constats que livre le dernier rapport du Centre sur la productivité et la prospérité – Fondation Walter J. Somers de HEC Montréal qui a été dévoilé hier et qui met en lumière l’importance pour le gouvernement québécois de revoir sa stratégie en matière de soutien au virage technologique des entreprises québécoises.

Un rappel, toutefois. L’économie québécoise se porte bien. Au cours des huit derniers mois, le Québec a enregistré un taux de croissance de 3,5 %, deux fois plus élevé que celui de 1,5 % réalisé pour l’ensemble du Canada.

Les dernières statistiques sur l’emploi nous ont également appris qu’il s’était créé 19 700 nouveaux emplois au Québec durant le mois d’août, ce qui a ramené le taux de chômage à 4,7 % au Québec, qui affiche incidemment son plus faible taux de sans-emploi depuis que l’on collige les statistiques et le plus bas taux de chômage au Canada.

Et ce, malgré le fait qu’il y a toujours plus de 120 000 postes vacants pour lesquels on recherche activement des candidats, sur l’ensemble du territoire québécois.

Ces chiffres sur la pénurie de main-d’œuvre nous rappellent l’urgence pour les entreprises manufacturières de recourir massivement à l’automatisation de leurs procédés de fabrication pour pallier notamment l’absence de travailleurs disponibles.

Les chercheurs du Centre sur la productivité et la prospérité constatent au contraire qu’une majorité de PME manufacturières hésitent toujours à investir dans la numérisation de leurs procédés de production.

Les raisons de leurs hésitations sont multiples, mais plusieurs sont liées à des problèmes de main-d’œuvre : manque de main-d’œuvre qualifiée pour pouvoir faire fonctionner les nouvelles machines, manque de formation des employés sur place et, enfin, difficulté de recruter du personnel qualifié.

L’accès au financement et l’accès au soutien financier et non financier des gouvernements sont également évoqués comme des freins à l’innovation technologique, alors que le coût des technologies de pointe est jugé trop élevé pour une majorité d’entreprises qui souhaitent pourtant les utiliser.

Mettre fin au dirigisme

Selon le directeur du Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal, le professeur d’économie Robert Gagné, les entreprises manufacturières réaliseraient davantage leur virage 4.0 si on leur donnait la latitude financière pour le faire.

« Présentement, comme ce fut le cas dans les années 2000, nos manufacturiers profitent de la faiblesse du dollar canadien. Mais, on l’a vu dans le passé, dès que les taux de change se resserrent, le secteur manufacturier québécois recule.

« Au cours des 20 dernières années, le gouvernement a donné des milliards en incitatifs fiscaux aux entreprises, mais il n’y a qu’une fraction d’entre elles qui profitent à outrance de ces programmes de crédits d’impôt. Les autres n’en profitent pas et n’investissent pas dans les nouvelles technologies », observe Robert Gagné.

Selon le chercheur, le gouvernement atteindrait davantage son objectif de voir les entreprises manufacturières prendre le virage numérique si on leur donnait un peu plus d’air sur le plan fiscal.

Il pointe ici la taxe sur la masse salariale qui, idéalement, devrait être progressivement abolie ou, au minimum, réduite de façon importante, puisque c’est au Québec qu’on applique le plus haut taux d’imposition sur la masse salariale au Canada.

Ailleurs dans le monde et particulièrement aux États-Unis, une telle taxe n’existe pas, puisqu’il est contre nature de taxer les facteurs de production.

Québec va chercher plus de 4 milliards par année dans la poche des entreprises manufacturières par l’entremise de la taxe sur la masse salariale. Plutôt que d’accorder des crédits d’impôt à l’innovation ou à la numérisation qui ne profitent qu’à certaines entreprises, il serait préférable, selon le Centre sur la productivité et la prospérité, de réduire le fardeau fiscal de toutes les entreprises pour leur permettre de financer elles-mêmes leur virage technologique.

D’autant que plusieurs programmes de crédits d’impôt ont été élaborés avec pour fonction première de générer de nouveaux emplois. Ce qui n’est plus pertinent aujourd’hui.

À l’heure du quasi-plein emploi, ce ne sont pas de nouveaux emplois que l’on veut créer, mais ce sont de nouveaux procédés de production qu’on souhaite mettre en place afin de pouvoir produire plus et mieux, et à moindre coût, et ainsi devenir plus compétitif dans un monde qui ne cesse de l’être davantage.

C’est en donnant plus d’oxygène aux entreprises qu’on les aidera à mieux s’armer pour participer pleinement à la quatrième révolution industrielle.