Si j’achetais Groupe Capitales Médias (GCM), quel serait mon plan ?, me suis-je demandé. Que pourrais-je faire pour transformer l’entreprise fortement déficitaire en groupe rentable ?

Je me suis attelé à la tâche, en tentant d’être rationnel et de faire fi de mes amitiés au sein du groupe. Et j’ai passé au crible les données financières rendues publiques par le syndic, les seules accessibles.

D’emblée, je dois dire que le ministre Pierre Fitzgibbon a raison : « le sauvetage sera onéreux pour le gouvernement et pour les intervenants de l’organisation », notamment les créanciers, mais aussi les employés, malheureusement.

10 repreneurs intéressés

D’abord, commençons par une bonne nouvelle : malgré les grandes difficultés du groupe, une dizaine de repreneurs ont manifesté leur intérêt au syndic PwC, « dont plusieurs sont crédibles », m’a confirmé l’associé responsable, Christian Bourque. Il y a loin de la coupe aux lèvres, mais tout de même, M. Bourque a été agréablement surpris par les coups de téléphone qu’il a reçus.

Les sauveurs ne sont pas nécessairement intéressés par le rachat de tous les journaux ; certains sont des gens d’affaires en région, aux motivations locales. Il apparaît clair, cependant, qu’une mise en commun des services (ventes publicitaires, ressources humaines, finances, soutien technologique, etc.) est une condition presque indispensable à la survie, question d’économie d’échelle, croit M. Bourque.

Cela dit, pour dessiner un plan de relance, commençons par un survol des chiffres. Au cours de l’année qui se termine le 31 décembre, GCM se dirige vers une perte de 9 millions de dollars. Et compte tenu des projections financières du syndic, établies avec les données fournies par GCM, il pourrait y avoir un écart de 21 millions entre les revenus et les dépenses au cours de la prochaine année (1).

Bref, le défi est de trouver de nouveaux revenus et de réduire les dépenses pour boucher ce trou de 21 millions. Ce ne sera pas jojo.

Combler un déficit de 21 millions lorsqu’une entreprise fait 1 milliard de revenus, c’est plutôt facile, mais faire de même avec une organisation comme GCM, dont les revenus annualisés avoisinent les 72 millions, c’est une autre histoire.

Avant de poursuivre, un bémol : ce trou de 21 millions est une prévision pessimiste du syndic. Pour tenir compte de l’impact de la relance et de l’incertitude sur les clients, PwC a réduit les prévisions de revenus publicitaires et de tirage de quelque 15 %, chiffre qui s’ajoute à la baisse de 10 % déjà budgétée par GCM pour l’année.

Cette baisse de 15 % additionnelle donne une marge de manœuvre de quelque 9 millions pour la prochaine année si jamais les choses se redressent rapidement. Entre vous et moi, je préfère avoir une telle marge, compte tenu du déclin rapide de la publicité et des imprévus d’une relance (coûts de transitions, investissements technologiques, fonds de retraite passé des employés, poursuites, etc.).

Vingt et un millions, donc. Du côté des nouveaux revenus, j’ai estimé la possibilité de renflouer les coffres de quelque 10,5 millions annuellement. Pour y parvenir, je compterais sur une aide du gouvernement du Québec aux médias (hypothèse de 4 millions par an pour GCM en crédits d’impôt), en plus de l’aide fédérale déjà annoncée (environ 2 millions pour GCM).

À cette somme, je prierais pour que les dons des entreprises et des particuliers avoisinent 2,5 millions par année (la projection annuelle est d’environ 5 millions à La Presse). De plus, j’imposerais un mode de paiement pour les abonnés internet, en espérant en tirer environ 2 millions au cours de la première année.

Du côté des dépenses, il faut savoir que les salaires et avantages sociaux représentent 45 % du total (34 millions par année) et que le deuxième poste en importance (15 %) est l’impression, incluant le papier (11 millions).

Selon moi, une organisation comme GCM n’a plus les moyens d’offrir un régime de retraite à ses employés. Je mettrais donc fin à tous les régimes, économisant ainsi environ de 3 à 4 millions par année. Au mieux, le nouvel employeur pourrait mettre en place un REER collectif, mais ce serait très léger.

Par ailleurs, il m’apparaît difficile d’avoir une organisation rentable sans réduire – à nouveau – la masse salariale. Devrait-on mettre à pied certains employés ? Réduire les salaires ? Faire un peu des deux ? Fermer certains des journaux les moins rentables ?

Un repreneur qui aurait déjà une infrastructure médiatique – comme Québecor – pourrait réduire le nombre d’employés qui seraient dédoublés. Au total, mon économie espérée serait de 3 millions par année, soit 10 % de la masse salariale.

Enfin, le repreneur devra imaginer une façon de réduire ses coûts d’impression, en diminuant le nombre de pages publiées. Faudrait-il fusionner certains journaux ? Publier seulement quelques jours par semaine, notamment le samedi ? Sortir du papier et faire migrer progressivement ses abonnés et annonceurs vers l’internet ? Je miserais sur une compression de 40 % des coûts d’impression (4,4 millions), en conservant essentiellement le journal papier du samedi, à terme.

Nul doute que le nouveau GCM devra avoir une meilleure infrastructure technologique pour tirer parti de la valeur que représentent les données commerciales de ses abonnés, comme le font Google, Facebook et autres.

Comme vous voyez, la partie est loin d’être gagnée. Et dans un tel plan, je n’aurais pas les moyens d’assumer le déficit actuariel de 50 à 65 millions de dollars du régime de retraite des employés actuels et des retraités, qui devraient donc absorber une perte de 20 à 25 % de leurs prestations.

De plus, je serais incapable de payer les créances de près de 15 millions dues au gouvernement du Québec. Quant aux 17 millions de dollars de créances non garanties, les fournisseurs touchés n’en récupéreront qu’une très petite partie, au mieux, avec le rachat de l’actif de GCM par le repreneur.

Bien sûr, il y a une marge de manœuvre de 9 millions, comme je le disais plus tôt. Mais compte tenu des besoins d’investissements pour transformer le modèle d’affaires et du risque de perdre des annonceurs dans ce contexte, je ne miserais pas trop là-dessus.

Je sais, c’est froid et déprimant, mais je n’y peux rien. Ce qui est triste, c’est qu’avec des conditions de travail ainsi dégradées, la qualité des gens qui choisissent le métier de journaliste ou y demeure diminuera, avec ses conséquences sur notre démocratie et la compréhension de notre monde de plus en plus complexe.

1- Il ne s’agit pas d’une perte comptable, mais d’un déficit entre les recettes et les débours, calculé sur la base des projections de trois mois.