Chaque dimanche de l’été, La Presse démystifie pour vous un concept économique ou financier.

Il s’agit d’un consensus chez les économistes : les échanges de biens, le commerce, enrichissent les sociétés. Pourtant, les commerçants ne produisent rien de tangible et, en résumant grossièrement, ne font que déplacer des marchandises. Pourquoi le libre-échange est-il considéré comme plus profitable que l’autarcie ? La réponse en six temps.

Spécialisation

Imaginons un individu très habile qui arriverait à produire tout ce dont il a besoin, de son blé jusqu’à ses vêtements, avec un talent particulier pour les meubles. Son voisin, vivant également en autarcie, fait un pain incomparable. Chacun a un intérêt manifeste à se concentrer sur l’activité dans laquelle il excelle. L’échange commercial n’est pas loin.

« À un moment donné, les gens ont commencé à se spécialiser, à devenir plus efficaces quand ils ne font qu’une chose, résume Mario Lavallée, professeur de finance à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke. C’est vrai au niveau des individus à l’intérieur d’un village, et c’est la même chose avec les pays. »

« Avantage comparatif »

Cet exemple un peu simpliste, c’est essentiellement la base d’une notion fondamentale en économie, appelée « loi des avantages comparatifs », formulée par David Ricardo en 1817. Cette loi est considérée comme « l’argument économique le plus général et le plus puissant pour démontrer l’intérêt de l’échange international et de la spécialisation », écrivent deux économistes, Bernard Lassudrie-Duchêne et Deniz Ünal-Kesenci.

La « preuve »

La démonstration théorique de David Ricardo peut sembler contre-intuitive. Nous la résumons quelque peu ici. Au Portugal, il faut 80 heures de travail pour produire une unité de vin, et 90 heures pour un drap. En Angleterre, c’est plutôt 120 heures pour le vin et 100 heures pour le drap. Le Portugal semble mieux loti et l’Angleterre n’a rien à offrir. Supposons que le Portugal se consacre seulement à la production du vin et achète ses draps de l’Angleterre. S’il arrive à obtenir un drap en échange d’une unité de vin, donc un produit qu’il met 90 heures à fabriquer contre un autre qui ne lui demande que 80 heures, il réalise un gain de 10 h de travail. Pour l’Angleterre, l’échange inverse – du vin pour son drap – lui permet de réaliser un meilleur gain, soit 20 h.

Distribution

L’autre gain de productivité inestimable que permet le commerce, c’est au chapitre de la distribution. L’avantage est évident : on remplace une nuée de clients et de producteurs éparpillés par un grossiste et des commerçants regroupés au même endroit. « C’est le concept de marché public », résume Mario Lavallée. Il y a un hic, cependant : l’impact environnemental lié au transport est bien plus élevé qu’avec les échanges locaux. « Quand on commence à en tenir compte, ça change l’équation, estime le professeur de finance. Mais on ne peut le faire seuls, il faut que ce soit mondial. »

Stabilité

L’œuf ou la poule ? Le commerce a besoin de stabilité, laquelle est renforcée par l’enrichissement qui est généré. « Ça prend un système légal pour encadrer les échanges, un État qui peut faire respecter les lois et les droits, dit M. Lavallée. Je n’irais pas investir dans un pays où je crois que le droit de propriété ne serait pas respecté… »

Inégalités

On l’a appelé le « paradoxe du libre-échange ». S’il est généralement admis que le commerce est globalement source de gains, la spécialisation entraîne des impacts sociaux douloureux. Un économiste américain, Frank Graham, a d’ailleurs ajouté en 1923 un célèbre article à la « loi des avantages comparatifs » en démontrant que certaines spécialisations, notamment agricoles, engendrent une baisse du niveau de vie. Et, laissé sans contrôle, le commerce mène à une concentration du capital, source d’inégalités qui menacent la paix sociale. « C’est l’État qui doit prendre en charge la répartition de la richesse, agir à titre d’arbitre, car le système capitaliste en est incapable », estime Michel Lavallée.

666 milliards Somme totale des importations de marchandises au Canada de juin 2018 à juin 2019, selon Statistique Canada.

647 milliards Valeur des exportations de marchandises canadiennes, de juin 2018 à juin 2019. Notre principal client : les États-Unis, avec 479 milliards, soit 74 %.