Un couple a eu maille à partir avec un site de vente de billets d’avion. Evelyne Sorel et Dominic Martin voulaient acheter des billets d’avion pas trop chers pour partir en Guadeloupe au mois de février prochain avec leurs deux enfants, pour leur premier gros voyage en famille.

L’expérience d’achat avec l’entreprise britannique TravelJunction s’est avérée une mauvaise surprise, comme pour bien d’autres Québécois. Voici une mésaventure illustrant certaines zones grises dans l’industrie du voyage.

Comme bon nombre de voyageurs, ils lancent leur recherche en googlant « billets Montreal-Guadeloupe ». La première suggestion, tout en haut de la page, indique TravelJunction. Ils cliquent et reluquent quatre billets d’Air Canada. Le prix est avantageux. Mme Sorel appelle Air Canada pour s’enquérir de la politique de bagages et s’assurer que TravelJunction est un partenaire fiable. On lui confirme que oui.

Ils achètent les billets sur-le-champ.

Quelques heures passent, et ils reçoivent un appel. TravelJunction leur annonce qu’il faudra payer 586 $ de plus sur leur transaction de 2240,04 $. Le motif : il ne reste que deux sièges au prix indiqué, et les quatre billets passent alors à une tranche de prix supérieure.

Le couple refuse d’obtempérer, et l’entreprise rappelle… 25 fois… en 24 heures.

« On était en train de devenir fous », raconte Evelyne Sorel. Désorientée, elle appelle Visa, qui gèle la carte, sans annuler la transaction. Elle raconte sa mésaventure au service à la clientèle d’Air Canada, et l’agente lui dit qu’« elle n’est pas la première à se plaindre » de TravelJunction.

Les chiffres de l’Office de protection du consommateur (OPC) appuient cette affirmation. Depuis deux ans, 32 plaintes ont été déposées à l’OPC au sujet de TravelJunction : 14 pour « livraison, non-conformité d’un bien ou d’un service ou qualité du service à la cliente », 13 pour « pratique trompeuse ou déloyale », et 5 pour d’autres raisons.

Les logements à Pointe-à-Pitre étaient déjà loués, et la famille se retrouvait sans suffisamment de fonds pour acheter quatre autres billets.

Comment le couple en est-il arrivé là ?

Explication

TravelJunction exploite ce qu’on appelle dans le jargon du métier un site « agrégateur » : en utilisant des logiciels spécialisés, ces sites tentent de dénicher les plus bas prix possible avec des algorithmes ultrasophistiqués.

De Londres, Frank Ralston, chef d’équipe chez TravelJunction, explique qu’une fois la réservation reçue, les algorithmes de TravelJunction vérifient automatiquement auprès du système de la ligne aérienne, Air Canada dans ce cas-ci, pour voir s’il y a effectivement assez de place à bord du vol pour confirmer les sièges des clients.

« Lorsque quelqu’un fait une réservation sur l’internet, plusieurs personnes peuvent faire la même réservation en même temps », dit-il. Seuls certains peuvent remporter cette course aux bas prix.

Comme l’explique André Desmarais, président de la section Québec de l’Association canadienne des agences de voyages (ACTA) et propriétaire de l’Agence Aérovoyage, les prix montent rapidement à mesure que se remplit l’avion.

En classe économique, il y a environ 20 classes de services. Disons que les 20 premiers billets sont vendus à 500 $. Une fois qu’ils sont épuisés, on tombe dans une autre classe, et les billets sont rendus à 550 $. Après, ça monte encore, et ainsi de suite. Les derniers vont payer presque plus cher que ceux en classe affaires.

André Desmarais, de l’Agence Aérovoyage

Si un changement de prix s’impose, il appartient à l’entreprise de prévenir ses clients. « Lorsqu’un siège n’est plus disponible, on appelle le client pour l’en avertir », dit M. Ralston.

Manque de transparence ?

M. Desmarais confirme que la pratique est relativement fréquente. Et légale. C’est d’ailleurs écrit noir sur blanc dans la section « Terms and conditions » du site unilingue anglophone de TravelJunction.ca.

Le problème se situe sur le plan de la transparence. Lorsqu’on réserve un billet en ligne, il est possible de ne jamais tomber sur l’information expliquant que le prix d’un billet n’est pas final, et reste sujet à changement : il faut expressément se rendre sur la page explicative pour le comprendre.

À la question portant sur la transparence du processus d’achat, M. Ralston reste opaque. « Nous essayons de faire des corrections et de rendre notre site plus clair, mais chaque jour, les choses peuvent changer », se défend M. Ralston.

Légal ou pas, Evelyne Sorel trouve la pratique injuste. « Je comprends qu’une compagnie change ses prix quotidiennement, mais au moins, qu’ils respectent les prix au moment de la réservation », dit-elle.

Un remboursement est possible, mais il faut trimer pour l’obtenir. Particulièrement avec TravelJunction. « Ils appelaient, faisaient des ultimatums, dit-elle. Ils disaient : “C’est ça, le problème avec vous. Vous pensez trop. Arrêtez de penser et payez.” C’était très agressif. » TravelJunction aurait aussi menacé de leur faire payer une hypothétique amende de 800 $ que leur facturerait Air Canada pour l’annulation.

Aujourd’hui, les choses vont mieux pour la petite famille. TravelJunction a fini par rembourser la somme due, ce qui lui permet de visiter la Guadeloupe en février, comme prévu.

Cette fois, le couple a acheté ses billets directement sur le site d’Air Canada, pour 25 $ de plus par billet. Mme Sorel a ajouté une plainte à l’OPC contre TravelJunction.

Avant d’acheter

Certaines entreprises de vente de billets d’avion ne sont pas enregistrées comme agences de voyages au Québec. TravelJunction en est un exemple. De ce fait, ces entreprises ne font pas partie du Fonds d’indemnisation des clients des agences de voyages, administré par l’Office de protection du consommateur. Il est plus risqué de faire affaire avec des entreprises qui n’ont pas leur permis d’agence, car les clients ne sont pas automatiquement protégés si un pépin arrive. 

Cependant, le Fonds ne remplace pas des assurances voyage obtenues auprès d’un tiers. Il est donc préférable de faire affaire avec un site détenant un permis d’agence de voyages et de se munir d’assurances voyage. Pour plus d’information, visitez la page internet de l’OPC sur la question

Agrégateurs et agrégateurs d’agrégateurs

Les « agrégateurs de vols » sont légion, et le phénomène est en expansion. « Sur le marché, les compagnies de vente de billets d’avion, ça devient hystérique » , dit André Desmarais. Il y a même des « agrégateurs d’agrégateurs ». Skyscanner, Expedia, Cheapoair, Kayak, Zefly, Momondo… les voyageurs ont l’embarras du choix. D’un autre côté, ces entreprises peuvent aussi être à la source de maux de tête. Les règles du contrat ne sont pas toujours claires au moment de l’achat. Sachant que le prix des billets peut augmenter d’une minute à l’autre, certains se précipitent pour réserver leur siège, sans s’informer par rapport au coût des bagages ou sur les assurances en cas d’augmentation de prix ou d’annulation de vol.

Agences ou pas ?

Pour vendre des billets d’avion à des clients québécois, les compagnies doivent avoir un permis d’agence de voyages. Cependant, la législation est un peu floue à cet égard, notamment parce qu’il semble difficile de déterminer si les sites vendent les billets directement aux clients ou s’ils ne servent que d’intermédiaire entre ceux-ci et la compagnie aérienne. Deux compagnies se sont fait taper sur les doigts dans les dernières années. Travelocity.com LP, de Southlake, au Texas, et Travel Last Minute Inc., d’Ajax, en Ontario, ont été déclarées coupables pour des infractions selon la Loi sur les agents de voyage. Les compagnies ont dû payer des amendes de 20 000 $ chacune. De quelles infractions parle-t-on ? Elles offraient des services aux Québécois sans détenir de permis d’agence de voyages. Travel Last Minute détient aujourd’hui son permis, tandis que Travelocity a été rachetée par Expedia, qui détient un permis.