La grande salle 517 du Palais des congrès était remplie, vendredi matin. L’ambiance était à la fête. Et pourquoi pas : voir sa petite-fille, son fils, son frère obtenir son diplôme d’ingénieur de Polytechnique Montréal est un évènement, n’est-ce pas ?

Certaines familles comptaient une douzaine de personnes au couronnement de leur élu (e). Tirées à quatre épingles, fleurs à la boutonnière, robes des grands jours. À 40 $ par personne, c’est vous dire l’importance que ces familles accordent à l’éducation. Et de tous les participants, les plus beaux étaient ceux d’origine haïtienne ou camerounaise.

Durant la cérémonie, dois-je dire, plusieurs éléments m’ont frappé, à commencer par les titulaires du doctorat. On s’entend, un doctorat en génie de Polytechnique, c’est probablement ce qu’il y a de plus difficile. Et quand les ministres et autres décideurs économiques parlent d’innovation et d’économie de demain, c’est à ce genre de diplômés qu’ils pensent, ultimement.

Or voilà, sur les 22 titulaires du doctorat nommés ce matin-là, j’ai été incapable de reconnaître ou d’épeler la très vaste majorité des noms. Je fais un essai : Su, Aboukala, Ikram, Carlsson, Aboussika, Wong, Immala, Diallo… tiens, une Lalonde-Lévesque.

Même constat, quoiqu’un peu moins prononcé, pour les diplômés de maîtrise. Bref, très peu de Québécois de souche.

D’où mon étonnement : nos diplômés des deuxième et troisième cycles en génie, les plus bolles des bolles, sont-ils des enfants d’immigrés, essentiellement ? Notre économie de demain repose-t-elle sur les enfants d’immigrés ?

Me sont alors revenues en tête deux statistiques. La première : le Québec est l’un des endroits qui accueillent la plus forte proportion d’immigrés avec des études postsecondaires du monde (les deux tiers ont ce niveau de formation, bien davantage que les natifs du Québec). La deuxième : 55 % des immigrés du Québec sont surqualifiés pour l’emploi qu’ils occupent – encore une fois l’un des plus hauts taux du monde – et ils sont donc souvent formés dans des disciplines peu demandées.

Certains observateurs concluent donc qu’ils contribuent peu à notre économie, qu’ils sont un fardeau plutôt qu’un atout, que le Québec doit mieux cibler ses immigrants.

Fort bien, mais que penser de ces docteurs en génie ? Ces parents immigrés et très diplômés qui ont choisi le Québec, ils ont à cœur l’éducation de leurs enfants, ils les poussent à se dépasser dans leurs études. C’est connu, les parents instruits produisent très souvent des enfants instruits.

Annie Touchette, porte-parole de Polytechique Montréal, m’a aidé à mieux cerner le phénomène.

Ainsi, Poly a remis 108 diplômes au doctorat cette année, dont 62 à des étudiants étrangers, qui retournent souvent dans leur pays après coup (et non des immigrés ou enfants d’immigrés). Du reste (46), 28 sont de probables immigrants ou enfants nés de parents immigrés et un maximum de 18 finissants sont de probables Québécois de souche.

Je vous le concède, cette évaluation maison n’a absolument rien de scientifique, elle peut varier un peu à la hausse comme à la baisse, mais elle illustre quand même un phénomène : notre économie du savoir, ce sont surtout les enfants d’immigrés qui la construiront.

Lors de la cérémonie du matin, l’école a d’ailleurs remis un doctorat honoris causa à Rubén Caballero, diplômé de Polytechnique de 1991 (et du Collège Brébeuf et du Collège Laval auparavant). Son fait d’armes : il a fait partie de l’équipe d’Apple qui a conçu l’iPhone, cet appareil qui a révolutionné le monde. Jusqu’à récemment, M. Caballero était vice-président, recherche et conception de la technologie sans fil, d’Apple.

Pendant son allocution, il a d’ailleurs raconté comment ses parents ont tout laissé au Chili pour immigrer au Canada, après avoir fait la même chose en quittant l’Espagne pour le Chili.

Durant la cérémonie, la direction a remis à une étudiante le 50 000e diplôme délivré depuis la fondation de Polytechnique en 1873. Le hasard veut que ce diplôme de la première école d’ingénierie francophone en Amérique ait été remis à Eva Terriault, qui a terminé ses études avec mention. Entre autres, Mme Terriault a dirigé le comité Elikos, formé d’étudiants concepteurs de drones autonomes, qui a ravi la première place à l’International Aerial Robotics Competition.

Une autre chose m’a étonné, en ce vendredi matin. Seuls les réseaux anglophones CTV et Global étaient présents pour rapporter la remise des diplômes et le fameux 50 000e diplôme de la vénérable institution. Aucun média francophone n’était sur les lieux (moi, je ne compte pas, puisque j’y étais pour honorer un proche). Est-ce un reflet de la préoccupation moins grande des Québécois de souche pour l’éducation ?

Quoi qu’il en soit, bravo aux centaines de nouveaux ingénieurs et diplômés des deuxième et troisième cycles, votre matière grise nous sera fort précieuse !