Faire migrer une part importante des nouveaux arrivants vers les régions est peu réaliste, soutient un ex-haut fonctionnaire du gouvernement du Québec, qui a travaillé pour six différents ministres durant sa carrière.

« Depuis au moins 30 ans, tous les ministres québécois titulaires du ministère de l’Immigration ont promis de régionaliser l’immigration. Sans succès », m’écrit Yvon Boudreau, ex-sous-ministre de l’Emploi responsable des politiques de main-d’œuvre.

M. Boudreau a longuement réagi à mes deux récentes chroniques sur l’immigration, comme nombre de lecteurs. Son propos jette un pavé dans la mare d’un débat qui fait plutôt consensus parmi les économistes.

La semaine dernière, à Québec, l’éminent économiste anglais Paul Collier, professeur à l’Université d’Oxford, à Londres, exhortait les autorités à tout faire pour régionaliser l’immigration, question d’éviter un clivage entre les villes et les régions, phénomène qui a provoqué, en partie, la tragédie du Brexit, selon lui.

« L’immigration est avant tout un phénomène urbain, dit de son côté Yvon Boudreau. Les immigrants quittent généralement une ville de leur pays et cherchent à s’établir dans une ville, où il y a une plus grande diversité et qualité d’emplois. L’immigrant est également susceptible d’y rencontrer des ressortissants de son pays d’origine, ce qui constitue un indiscutable atout. Il n’y a donc rien de surprenant à ce que les immigrants se concentrent à Montréal. »

« Et puis, c’est triste à dire, mais une région qui n’est pas capable de retenir ses jeunes ne peut pas objectivement espérer attirer et retenir des immigrants. Enfin, la population des régions demeure fermée à l’immigration », soutient Yvon Boudreau.

Selon lui, seules les régions de Québec, de Sherbrooke et de l’Outaouais pourraient tirer leur épingle du jeu, car elles ont une taille plus imposante et sont assez près des autres grands centres.

Ce n’est pas le cas du Saguenay–Lac-Saint-Jean ou de la Gaspésie, dit-il.

L’ex-sous-ministre, qui a travaillé pour le gouvernement du Québec jusqu’en 2005, puis comme consultant, fustige notre système de sélection des immigrants, qui a accordé beaucoup de points pour la scolarité et le niveau de connaissance de la langue française, mais très peu pour le domaine de formation.

Ce système, encore en vigueur récemment, explique la très grande surqualification de nos immigrants, l’une des plus élevées au monde.

En 2010, rappelle M. Boudreau, un rapport du vérificateur général avait vertement dénoncé ce fonctionnement. Selon le VG, « seulement 9 % des candidats sélectionnés présentaient un profil répondant aux exigences dans les domaines de formation privilégiés par le Québec ». Et les deux tiers des immigrants n’avaient eu aucun point pour le domaine de formation (administration, génie, soins infirmiers, informatique, etc.). Aucun.

La nouvelle grille en vigueur depuis août 2018 accorde davantage de points au domaine de formation (12 points sur un total de 120) et à la présentation d’une offre d’emploi validée en région (14 points), ce qui constitue un pas dans la bonne direction, admet Yvon Boudreau.

Le nouveau système ARRIMA de la Coalition avenir Québec pénalisera certes les quelque 18 000 dossiers de candidats sur la liste d’attente (projet de loi 9 à l’étude), qui bénéficiaient du critère premier arrivé, premier servi. L’ancien système, cependant, a frustré de très nombreux immigrants, incapables de trouver un emploi à la hauteur de leur compétence dans leur domaine.

Un doc qui travaille comme commis

Justement, de nombreux lecteurs évoquent encore les problèmes de reconnaissance des compétences et le manque d’ouverture de certains ordres professionnels.

« Dans mon entourage immédiat, je connais personnellement quatre personnes (trois hommes et une femme) originaires du Maroc, de la Tunisie et du Burkina Faso, qui sont parfaitement bilingues, diplômés dans le secteur de la santé et disponibles pour travailler, peu importe le quart de travail », m’écrit le lecteur Jean Beaudoin.

« Ils occupent un emploi de troisième classe parce qu’ils attendent, depuis des années, que notre gouvernement reconnaisse leurs compétences. »

« L’un est commis de nuit dans un marché d’alimentation. Dans son pays, il était médecin ophtalmologiste. Une autre est aide-infirmière et sa seule responsabilité est de prendre des prises de sang dans un CLSC local. Le troisième, qui était professeur de mathématiques dans son pays, occupe le très valorisant poste de préposé à l’entretien dans une résidence pour personnes âgées. »

« Tous sont au moins trilingues et iraient travailler en région à condition de demeurer au Québec, leur terre d’accueil. Ils ont eu des entrevues avec des membres de certains ministères, mais en raison de l’extrême lenteur et de la complexité administrative, ils ne font qu’attendre, et ce, depuis bientôt deux ans. C’est inadmissible dans les circonstances actuelles d’un manque flagrant de personnel dans le domaine médical et hospitalier », m’écrit Jean Beaudoin.

Suggestion : pourquoi ne pas donner un permis particulier (et accéléré) de pratique pour ces travailleurs de la santé s’ils acceptent de se rendre dans les régions éloignées, où il y a un manque de médecins ?

Pour ma part, je ne suis pas aussi pessimiste, et je crois que le système ARRIMA réglera certains problèmes. De plus, je suis convaincu que les Québécois des régions éloignées, une fois la glace brisée, sauraient se montrer accueillants aux immigrants sincèrement désireux de s’y implanter.

Enfin, je me dis qu’au moins, les enfants des immigrés très instruits qui se sont établis au Québec ces dernières années auront la chance d’avoir des parents modèles de réussite scolaire, un grand atout pour le Québec de demain.