Il y a maintenant deux ans que Roland Lescure a quitté son confortable emploi de chef des placements de la Caisse de dépôt et placement du Québec pour se lancer en politique française.

Deux ans qu’il est député des Français du Canada et des États-Unis, pour le parti La République en marche, d’Emmanuel Macron, et qu’il préside la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale à Paris.

Deux ans qu’il travaille à avoir de l’impact dans un univers radicalement différent de ce qu’il a connu durant son séjour de huit ans à Montréal comme numéro deux de la Caisse.

En a-t-il ?

« Je pense que oui », répond-il, assis à une terrasse d’un café de l’avenue du Parc. « De l’influence. »

Si, en annonçant la mise en place d’un nouveau réseau de points de services intégrés de l’administration française, un guichet unique pour tous les services publics, le président français a dit que « les Canadiens sont toujours très inspirants », c’est parce que Roland Lescure avait parlé lors d’une rencontre d’un tel système dans son pays d’adoption.

« C’est enthousiasmant », dit le député.

En septembre, Roland Lescure a fini premier au premier tour de l’élection pour être chef du caucus de son parti, poste qu’il a ensuite perdu au second tour.

En outre, il a été rapporteur général du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte), c’est-à-dire le député chargé de faire avancer le projet.

L’économiste pourrait-il être un jour ministre ? Ce n’est pas farfelu de se le demander…

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Roland Lescure est à Montréal pour voir sa famille, qui est restée ici même après son élection à l’Hémicycle, et pour faire campagne pour les élections au Parlement européen, qui, pour les Français, auront lieu le week-end prochain.

Hier après-midi, le politique avait même l’intention d’aller distribuer de l’information et d’aller parler aux électeurs français du Plateau, en s’installant devant une station de métro. Demain, il convie tout le monde au Bain Mathieu dès 18 h 30. Pourquoi toute cette énergie à Montréal ? Parce qu’il y a 60 000 électeurs. Montréal est maintenant la ville où il y a le plus de Français hors de la France.

Roland Lescure veut convaincre ces Français de Montréal d’aller voter. Pour le parti d’Emmanuel Macron aux européennes, bien évidemment.

Mais d’abord et avant tout d’aller voter. Point.

Parce que les machines de la droite populiste, elles, font aller les moteurs à pleine vapeur et cherchent à faire sortir le vote. Qu’elles soient françaises, italiennes, britanniques — le Royaume-Uni est toujours dans l’Union européenne, malgré le vote pour le Brexit — ou polonaises, ces forces ultraconservatrices inquiètent l’homme d’affaires devenu politique, le démocrate progressiste.

« Je suis entré en politique il y a deux ans pour défendre l’Europe et me battre contre les populismes. Et je suis aujourd’hui autant inquiet. » — Roland Lescure

« C’est un vrai combat pour les valeurs démocratiques. Pour l’ouverture contre la fermeture. »

Regrette-t-il d’avoir fait ce plongeon ? Pas du tout, il est même « conforté » dans son choix.

« Je n’ai aucun regret. Je me lève avec le sourire aux lèvres. Je suis heureux de pouvoir faire ça. »

« Le monde est perdu et toi, tu travailles là-dessus. »

Les dossiers sont sur tous les fronts.

En France, il faut répondre à la révolte des gilets jaunes, ces gens des campagnes qui ont le sentiment d’être les laissés-pour-compte du système actuel.

Mais il faut aussi lutter contre les changements climatiques avec des politiques efficaces, remettre l’économie en ordre — « On a la majorité et une capacité d’agir et on a fait beaucoup de choses, précise Roland Lescure. D’ailleurs, ça va mieux, le chômage baisse, la croissance est là. »

Roland Lescure admet que l’équipe Macron a dû changer de cap dans son approche envers les électeurs. Avoir une majorité et un programme clair, ça ne doit pas rendre sourd. 

« On a dû changer de style », dit-il. Écouter plus. Et répondre ainsi à la demande forte pour des processus de démocratie directe.

Et à travers tout cela, il y a un autre front : la montée des populistes et leurs valeurs et leurs idées, qu’il soit question de limiter l’accès à l’avortement ou de refermer les frontières européennes. Et ça se passe en France, mais aussi ailleurs en Europe.

L’homme politique s’inquiète, par exemple, de la présence de Steve Bannon à Paris. Le grand stratège de l’élection de Donald Trump, ultraconservateur, s’est en effet installé au très chic Bristol. Marine Le Pen tente de faire croire à tous qu’il n’est pas là pour l’aider aux européennes, mais Lescure, et il n’est pas le seul, en doute. Depuis qu’il n’est plus à la Maison-Blanche, celui qui fut un des premiers piliers de Cambridge Analytica — la boîte britannique qui a utilisé les données de Facebook pour aider l’élection de Trump — se balade constamment en Europe, où il dit clairement qu’il veut unir les forces de la droite populiste, « créer des ponts entre les leaders populistes et nationalistes où qu’ils soient dans le monde », et « contribuer à cette révolution en cours sur tous les continents », selon ce qu’il a dit à l’hebdomadaire Le Point.

Et il ne faut pas oublier que la main russe n’est jamais loin de tout ça, note Lescure.

« Ce n’est pas du folklore électoral, dit l’homme politique. C’est grave, ce qui se passe. »

Le job est donc difficile ?

« Je travaille sept jours sur sept », répond-il. Au moins, avant, à la Caisse, la fermeture des marchés le week-end lui permettait de faire une pause. « Mais ce qui est vraiment différent, c’est la mesure du succès. »

À la Caisse, il suffisait de regarder le rendement.

Maintenant, le succès de l’individu est lié au succès collectif. Le député est un entrepreneur indépendant à la fois au sein d’une grande machine et à la tête de sa petite équipe de quatre personnes.

Est-ce que les objectifs sont atteints ? Est-ce que le monde a changé ?

Ce n’est pas facile à compter.

Mais on en saura un peu plus dimanche, quand les résultats seront dévoilés.