Avez-vous suivi récemment les déboires de Bayer-Monsanto ? Tout ça fait très Game of Thrones, ne trouvez-vous pas ? Voici comment je les raconterais, grosso modo.

L’an dernier, un leader imposant, mais néanmoins généralement respecté (le géant de la chimie allemand Bayer) fait une alliance avec (achète) un autre géant puissant, mais honni de tous (l’américain Monsanto). Le but : continuer d’imposer leur domination du monde (le marché agricole) pour faire face notamment à un nouvel adversaire de plus en plus enquiquinant, petit, mais agile (l’opinion publique anti-pesticides et anti-OGM et l’univers grandissant de l’agriculture naturelle et bio). 

Tout le monde s’attend à ce que la nouvelle ligue puissante des géants impose un nouvel ordre mondial de la chimie agricole.

Mais coup de théâtre. 

De nouvelles forces de l’autre côté de l’océan arrivent avec leurs munitions (des milliers de poursuites en justice, plus de 13 000 en fait) pour attaquer les géants qui sont de facto dans le même camp.

Les coups sont douloureux et viennent d’un peu partout. On tape sur les géants en les accusant de causer des maladies avec leur produit chimique phare, l’herbicide Roundup à base de glyphosate.

Trois causes devant les tribunaux depuis un an donnent raison aux plaignants. La plus récente décision, rendue lundi, demande à Bayer, au nom de Monsanto, de payer 2 milliards US à un couple de Californiens qui attribuent leurs cancers du sang à l’utilisation du Roundup.

À travers tout cela, trame narrative parallèle : les actionnaires de Bayer – disons les soldats du bon géant – se rebellent. Ils n’apprécient pas que la valeur du titre dégringole. Ils regardent leur leader et demandent : comment avez-vous pu faire cette alliance (acheter Monsanto), vous saviez que le vilain était vilain…

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Il est vrai qu’on était tous au courant que Monsanto était Monsanto. Poursuites, révélations sur révélations au sujet de ce que le géant agrochimique savait sur les effets sur la santé et l’environnement de ses produits, mais n’a pas dit. Récemment, on a même appris que l’entreprise essayait de contrôler l’information en récoltant des renseignements personnels sur les politiciens, journalistes et autres leaders d’opinion. 

Quand on voit le roi des Marcheurs de la mort arriver dans Game of Thrones, on se doute qu’il n’est pas là pour cueillir des pâquerettes. Pareil avec Monsanto. Quand Bayer a payé 62 milliards pour racheter l’entreprise de St. Louis, on s’est tous demandé : « N’ont-ils pas vu le film Le Monde selon Monsanto ? Ne lisent-ils pas les rapports de l’Organisation mondiale de la santé et son Centre international de recherche sur le cancer qui disent que le glyphosate est probablement cancérogène ? »

Que réserve maintenant le prochain épisode ?

Le week-end prochain, les groupes anti-OGM et anti-pesticides du monde organisent simultanément des manifestations dans plusieurs villes partout sur la planète, de Hambourg à Perth, en passant par Porto, Toronto, Austin, San Diego et Santiago, capitale du Chili. 

Évidemment, on pense ici à Jon Snow ralliant les troupes de partout, des Sauvageons jusqu’aux Dothraki pour se battre pour défendre le monde des Vivants.

Est-ce que le public finira par gagner ? Les écolos ?

Est-ce que ce sont les actionnaires qui ont toujours bien profité des géants de la chimie devront se rallier à l’opinion publique et être ceux par qui, finalement, le secteur agrochimique devra faire un vrai ménage de ses pratiques ?

Monsanto, dont le nom devait être disparu depuis l’achat par Bayer – mais qui, tel un Marcheur blanc, finit pas mal toujours par revenir à la surface, en vie – sera-t-il finalement exposé et condamné pour l’ensemble de ses actes ? Bayer, dont la capitalisation boursière a fondu depuis l’acquisition de Monsanto, s’en remettra-t-il ?

Hier, le magazine français L’Express calculait que le géant allemand vaut maintenant moins en Bourse que ce qu’il a payé pour acheter l’entreprise américaine. 

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Désolée pour ceux qui ne suivent pas Game of Thrones – Le Trône de fer, mais j’espère que vous avez pu deviner le scénario global : deux géants, un allemand et un américain, qui travaillent maintenant ensemble parce que le premier a acheté l’autre, alliance qui semble bien mal partie. Parce que l’un des deux, l’américain Monsanto, a vraiment beaucoup de passifs. Imaginez, c’est l’entreprise qui a mis au monde l’agent orange, le DDT, les BPC, le Roundup à base de glyphosate, que la France s’est engagée à interdire totalement d’ici 2021 et qui est au cœur de cette nouvelle vague immense de poursuites en justice.

La vraie question qui devrait maintenant fasciner les scénaristes : quelle est la vraie raison pour laquelle Bayer a acheté cette société dont tout le monde savait à quel point elle était attaquée ?

Et surtout, maintenant, pourquoi est-ce que le Canada n’agit pas au sujet du glyphosate ? Le pays vient de renouveler son autorisation pour 15 ans… Va-t-on devoir lancer des poursuites, comme aux États-Unis, pour que les autorités se réveillent ?

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Lundi, l’agronome lanceur d’alerte Louis Robert n’a pas remporté la présidence de l’Ordre des agronomes du Québec, qu’il briguait. 

Mais il a, je dirais, remporté une importante victoire : celle de nous avoir sortis de notre torpeur au sujet des aberrations qui ont pavé la voie pour les Monsanto de ce monde, en commençant par la permission qu’on accorde aux agronomes qui prescrivent des pesticides et des engrais chimiques d’être payés par ceux qui les produisent.

Robert, on ne le rappellera jamais assez, a aussi été congédié du ministère de l’Agriculture, en début d’année, parce qu’il en avait marre de cette situation et l’a dénoncée (il n’avait pas le droit de parler de ces informations en public même si, lui, c’est le public qu’il voulait protéger).

Dans cette histoire, on aimerait savoir qu’il y a quelque part un Jon Snow – héros du Trône de fer –, leader charismatique prêt à tout. Mais peut-être que Louis Robert, c’est plutôt Arya Stark, l’amazone isolée qui détient bien des cartes cruciales sur cet inquiétant champ de bataille.

Chose certaine, contrairement au Trône de fer, ce n’est pas sur le point de se terminer.