Les fraises du Québec, qui feront leur apparition dans les étals des épiceries dans moins de deux mois, pourraient bientôt traverser la frontière et se retrouver sur les tablettes des marchés de New York, Boston et Chicago.

La Belle Province importe plus de fraises qu'elle en exporte, selon des données fournies par l'Association des producteurs de fraises et de framboises du Québec (APFFQ). Or, le petit fruit québécois pourrait bien commencer à voyager davantage du côté américain. 

« Il y a certains producteurs qui ont commencé à regarder ces marchés-là », affirme le président de l'APFFQ, David Lemire. Il souhaite d'ailleurs que les producteurs d'ici le fassent avant de se faire damer le pion par les Américains. 

« Certaines entreprises californiennes sont venues au Québec et en Colombie-Britannique pour voir si elles pouvaient y produire leurs fraises. Moi, j'aimerais mieux qu'on le fasse nous-mêmes. »

C'est que les Californiens, accablés par la hausse du salaire minimum et le manque d'eau, souhaitent déplacer leur production vers l'est. En voyant les entreprises américaines évaluer la possibilité de produire une fraise destinée à l'exportation sur le sol québécois, l'APFFQ a commencé à jongler avec l'idée de développer elle-même une variété pouvant résister au transport en dehors de nos frontières.

« Si les gens goûtent à notre fraise, c'est sûr qu'ils vont en vouloir », lance Louis Belisle, de la ferme A. Belisle et fils. Le producteur de Saint-Eustache fait partie de ceux qui lorgnent le marché du côté de nos voisins du Sud. « On est capables d'avoir un produit 10 fois supérieur », croit-il.

De nouvelles variétés

Mais avant que les paniers de fraises du Québec se retrouvent dans les marchés de fruits de New York, les producteurs devront adapter leur technique de récolte et se tourner vers d'autres variétés, souligne David Lemire. Le fruit rouge et juteux que l'on savoure ici l'été ne survivrait pas au voyage jusqu'aux États-Unis.

Est-ce à dire que la fraise d'ici perdrait ses atouts ? « Il faut garder notre qualité, mais il faut s'adapter », répond le président de l'APFFQ. Il explique du même coup que le fruit destiné au marché québécois demeurerait le même que celui que l'on connaît. Le produit cultivé pour les Américains serait toutefois différent.

Possible hausse de prix

Ce projet d'exportation pourrait représenter une piste de solution pour les producteurs du précieux petit fruit rouge qui peinent à rentabiliser leurs activités, notamment en raison de la hausse du salaire minimum - qui est passé de 10,75 $ à 12,50 $ entre 2016 et 2019. David Lemire rappelle que la main-d'oeuvre représente entre 50 % et 60 % des coûts de production.

Les producteurs interrogés affirment tous que les dernières années ont été particulièrement difficiles pour les affaires.

« Tout est cher, le prix des engrais, les pesticides, l'essence. C'est officiel, nous autres on va augmenter le prix de nos fraises. » - Philippe Quinn, propriétaire de la ferme Quinn, située à Notre-Dame-de-l'Île-Perrot

« Ça fait une dizaine d'années qu'on ne vend plus en gros, précise le producteur, qui vend ses fruits directement à la ferme. Je suis assez content. Même les gros producteurs commencent à vendre directement à la ferme. »

Selon lui, les agriculteurs qui font affaire avec les supermarchés auront beaucoup plus de difficultés à jouer avec le prix des fraises. 

« Les chaînes n'en vendront pas » si elles sont plus chères, estime David Lemire, de l'APFFQ. Celui-ci rappelle que les fraises québécoises sont en compétition directe avec celles du Mexique et de la Californie. Le consommateur pourrait donc tourner le dos au fruit québécois s'il est hors de prix.

Gros vendeur en épicerie, Louis Belisle, de la ferme A. Belisle et fils, espère de son côté que les supermarchés afficheront un prix un peu plus élevé pour permettre aux producteurs de faire leurs frais. Du côté des grandes surfaces, on assure que les fraises du Québec ont la priorité sur les tablettes pendant la saison. « L'année passée, il y a eu une augmentation du prix, admet toutefois Anne-Hélène Lavoie, porte-parole d'IGA. Nous, on s'ajuste avec les fournisseurs. Mais on va toujours prioriser les fraises du Québec. »

« Ça ne sera pas majeur comme augmentation, prédit pour sa part Louis Belisle. Ce n'est pas ça qui va empêcher les gens d'acheter les fraises du Québec », conclut-il.

Le secteur de la fraise en chiffres (Données de 2017)

507: nombre de producteurs

15 971 tonnes: quantité de fraises commercialisées 67 millions: recettes générées par les fraises

Source: ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation

Moins de producteurs

Selon l'Association des producteurs de fraises et de framboises du Québec (APFFQ), quelque 35 fermes ont cessé de produire des fraises au cours des trois dernières années, notamment en raison des difficultés financières et du manque de relève. D'autres, comme Josiane Cormier, de la Ferme Cormier à L'Assomption, ont décidé de réduire la superficie de leurs terres destinées à la culture des fraises.

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Josiane Cormier, de la Ferme Cormier à L'Assomption

Aide gouvernementale

L'APFFQ souhaiterait que le gouvernement donne un coup de pouce financier à ses membres. De son côté, le ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation, André Lamontagne, s'est dit « conscient des défis auxquels font face les producteurs ». Il a donc mis sur pied un comité de travail avec les secteurs maraîchers et fruitiers pour s'attaquer aux enjeux de compétitivité. Le comité fera ensuite des recommandations.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

André Lamontagne, ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation

Vers une mécanisation ?

La mécanisation pourrait-elle être une solution pour pallier les problèmes liés à la hausse du salaire minimum ? « En Floride, ils sont en train de développer des robots de récoltes, mais ce n'est pas applicable ici », estime le président de l'APFFQ, David Lemire. Selon lui, la courte durée de la saison et la superficie moindre des champs québécois rendent difficile l'utilisation de ces nouvelles technologies.

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Selon le président de l'Association des producteurs de fraises et de framboises du Québec, la courte durée de la saison et la superficie moindre des champs québécois rendent difficile l'utilisation de ces nouvelles technologies.