Les amis, on s’est fait avoir.

On a trouvé ça amusant, on en a fait une habitude, presque un mode d’expression, d’être, pour certains. On a embarqué dans l’expérience avec l’enthousiasme d’ados qui essaient la cigarette, les machines à sous, le FCKDUP pour la première fois. On s’est amusés.

Sauf que là, on est en train, finalement, de retomber sur terre et de réaliser solidement que ce super univers gratuit des réseaux sociaux était trop beau pour être vrai. Et qu’il a un côté très sombre dont on ne s’est pas assez préoccupés.

Déjà, en mars 2018, quand l’affaire Cambridge Analytica a éclaté, révélant que des données sur des dizaines de millions d’utilisateurs de Facebook avaient été relayées à des tiers aux intentions politiques douteuses, on a commencé à déchanter et à ouvrir les yeux.

Ouais, Facebook, finalement, on ne peut pas trop lui faire confiance.

Mais a-t-on arrêté en bloc d’y aller ? A-t-on boycotté le réseau  ? A-t-on laissé tomber Instagram, le petit frère, avec ses super « stories », si amusantes ?

Pas du tout.

Et maintenant, voilà pourtant le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada qui dit, « ça fera ».

Hier, l’organisme a présenté le rapport d’une enquête lancée conjointement avec le commissariat de la Colombie-Britannique, dans la foulée du scandale Cambridge Analytica.

En gros, ça dit que Facebook a commis des erreurs graves avec nos informations personnelles. Mais surtout, surtout, qu’elle ne veut pas coopérer pour l’avenir pour que ça ne se reproduise plus.

« Facebook a commis des violations graves aux lois canadiennes et s’est soustraite à ses responsabilités concernant la protection des renseignements personnels des Canadiens », a dit hier le commissaire fédéral Daniel Therrien.

Rien de moins. « Le cadre de protection de la vie privée de l’entreprise était une coquille vide et ses politiques de confidentialité étaient vagues. Par conséquent, les usagers ne bénéficiaient pas d’une protection réelle de leur vie privée. »

(Ici, insérez un emoji de moi qui me prend la tête dans les mains. Un « gif » d’une journaliste avec de la boucane qui lui sort par les oreilles…)

Et maintenant, poursuit le commissaire, « le refus de Facebook d’assumer ses responsabilités en ce qui concerne la protection de la vie privée est très troublant ».

Bref, le Facebook dont l’équipe du Commissariat a analysé les politiques de supposée protection de la vie privée – parce que contrairement à nous, ils ont le temps, les outils et les connaissances pour éplucher les documents sur lesquels on clique sans trop savoir — est loin de l’entreprise qui a fait un soi-disant mea culpa l’an dernier.

« La contradiction frappante entre les promesses publiques faites par Facebook de mieux protéger la vie privée de ses utilisateurs et son refus de régler les problèmes graves que nous avons relevés — ou même de reconnaître qu’elle a contrevenu à la loi — est tout aussi troublante », croit le commissaire Therrien.

Michael McEvoy, le commissaire de la Colombie-Britannique, lui, parle carrément de « mépris » de la part du géant californien.

Les deux commissaires s’inquiètent que ce refus de Facebook de corriger réellement le tir mette encore les Canadiens à risque de voir « leurs renseignements personnels utilisés à des fins auxquelles ils n’ont pas consenti et de subir un éventuel préjudice ».

Quand on sait que les informations recueillies à travers Facebook par Cambridge Analytica ont été utilisées pour influencer le vote sur le Brexit, quand on sait que les élections américaines ont été fortement polluées par ce qui s’est passé sur les réseaux sociaux, il y a de quoi commencer à être inquiet. Ou encore plus inquiet qu’on ne l’était déjà.

On pense aux élections fédérales qui s’en viennent… Et on n’ose même pas imaginer les primaires, puis la présidentielle américaine.

***

Hier, le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada a fait savoir qu’il comptait porter l’affaire devant la Cour fédérale afin qu’elle rende une ordonnance pour obliger l’entreprise à corriger ses pratiques.

Tant mieux.

Mais on ne peut pas laisser uniquement aux tribunaux le soin de régler ce problème. Et on ne peut évidemment plus laisser les entreprises comme Facebook s’autodiscipliner. Ça ne marche absolument pas.

Comme internautes, comme utilisateurs de ces plateformes, de tous ces services et produits technologiques, il faut penser à des moyens d’agir, de faire comprendre à ce géant comme aux autres, les fameux GAFAM — Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft —, qu’ils ne peuvent pas abuser de notre confiance impunément.

Il faut se préparer à le faire. Vraiment.

Mais pour paraphraser la grande féministe américaine Gloria Steinem : « Si la vérité nous libère, d’abord, elle nous enquiquine. »

Provoquer le changement ne sera pas nécessairement agréable.

En rendant publics ses résultats trimestriels mercredi, le président et fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, a fait savoir à ses actionnaires qu’il s’attendait à devoir payer jusqu’à 5 milliards de dollars américains en amendes imposées par la Federal Trade Commission américaine, l’agence qui surveille les entreprises et défend les consommateurs. À cause, justement, du non-respect de la confidentialité.

Est-ce que ça a traumatisé les investisseurs ? Pas du tout.

Le titre a terminé la journée d’hier en hausse de 5,85 %.

Pourquoi ? Parce que les revenus sont à la hausse (26 %, comparativement au même trimestre l’an dernier !) et parce que, a expliqué Zuckerberg aux analystes, les « stories » cartonnent sur toutes les plateformes du groupe, donc autant sur Facebook que Messenger, WhatsApp ou Instagram.

On est un demi-milliard de personnes à s’en servir chaque jour. Y compris moi. Je l’avoue. Et j’adore ça.

Il est là, le nœud du problème.

Comment faire, quand on aime ça, pour ne pas se faire rouler, utiliser, devenir vulnérable…

Est-ce que le boycottage est l’unique solution ? Déménager à la campagne et tourner le dos à tout ce qui est réseau ?

On a tous besoin d’avoir ensemble, comme internautes, comme citoyens et consommateurs, une sérieuse discussion sur des solutions réalistes. On a besoin d’acteurs politiques qui comprennent les enjeux et nous aident à nous sortir de ce pétrin. Parce que, ça fera.