Alors que la guerre se poursuit entre deux exploitants de broyeurs de métal établis côte à côte à Laval, le gouvernement a choisi d'appuyer l'entreprise dans laquelle de grands noms de Québec inc. sont actionnaires. Des concurrents sont furieux.

« Le ministère de l'Économie et de l'Innovation (MEI) est intervenu dans le cadre du programme ESSOR pour aider l'entreprise TMR à soutenir sa croissance », a confirmé le Ministère, dans un courriel. Il s'agit d'un prêt dont il tait le montant pour l'instant.

La Presse a déjà fait état à deux reprises de la lutte entre Total Métal Récupération (TMR), fondée par Jean-Guy Hamelin, et la Compagnie américaine de fer et métaux (AIM), du milliardaire Herbert Black. Deux vieux rivaux qui se disputent le marché de la ferraille depuis 40 ans.

Sur le site du MEI, il est écrit que le programme ESSOR fixe comme condition que les projets d'investissement qui reçoivent l'aide gouvernementale ne doivent pas avoir d'incidence négative sur les entreprises existantes. Les concurrents de TMR affirment pourtant que le développement de l'entreprise nuit à leurs affaires.

« La décision dans ce dossier a été prise en respectant les objectifs du programme ESSOR, soutient le Ministère dans un second courriel. Le dossier de l'entreprise TMR Total Récupération a été analysé et évalué selon les mêmes critères et avec la même rigueur que tous les autres projets déposés au MEI. »

« Le gouvernement n'a pas fait ses devoirs »

L'intervention gouvernementale rend furieux Herbert Black, qui est en train d'investir 150 millions dans ses installations de Montréal-Est.

« Le gouvernement n'a pas fait ses devoirs en finançant une entreprise déficitaire. Le gouvernement devrait garder son argent pour aider les pauvres et leur donner une éducation. » - Herbert Black

Lisez l'article sur l'investissement d'AIM.

Le dernier chapitre entre les deux concurrents s'est ouvert en 2016, après quelques années de trêve. M. Hamelin a alors ouvert un nouveau broyeur de métal, d'une capacité de 600 000 tonnes, juste à côté de celui de M. Black sur la montée Masson, dans l'est de Laval.

M. Hamelin avait réussi à convaincre 24 investisseurs de financer son usine, dont Jacques Lamarre, ancien PDG de SNC-Lavalin, Gérard Geoffrion, ex-président du torréfacteur de café Van Houtte, Marc De Serres, des magasins du même nom, Guy Laliberté, Pierre Sylvestre, d'EBI, Daniel Gauthier, à la tête du Massif de Charlevoix, et Eric R. La Flèche, président et chef de la direction de Metro.

La Banque Nationale a accordé un prêt d'au moins 30 millions, et TMR a obtenu une subvention du Fonds vert de 620 000 $ pour l'achat de deux grues électriques servant à alimenter le broyeur.

L'ouverture du nouveau broyeur a provoqué une surcapacité qui a fait augmenter le prix des carcasses automobiles. Les exploitants de broyeurs en souffrent. Jacques Lamarre reconnaissait à La Presse en octobre dernier que TMR perdait de l'argent. « On ne peut pas dire qu'on fait de l'argent. On ne fait pas d'argent avec ça », disait-il, avant d'ajouter que l'entreprise avait un bel avenir devant elle. 

M. Lamarre avait même tenté un rapprochement avec AIM à l'été 2018, en vain. « Les actionnaires ont remis de l'argent dans TMR, puis la vie continue », avait-il ajouté.

Lisez l'article « La guerre de la ferraille se poursuit à Laval ».

Mais comment le gouvernement explique-t-il son intervention auprès de TMR ?

« TMR opère des installations parmi les plus modernes au Canada, ayant une capacité annuelle de traitement de 600 000 tonnes d'acier, et se positionne au-dessus de la moyenne de l'industrie au niveau de la qualité des produits recyclés (densité et pureté des métaux) », s'est justifié le Ministère. « TMR emploie environ 74 personnes actuellement dans ses installations de Laval », écrit Jean-Pierre D'Auteuil, responsable des relations médias au MEI.

L'explication ne convainc pas un autre concurrent de TMR, qui ne veut pas que son nom soit divulgué pour ne pas avoir d'ennuis. Selon son principal dirigeant, TMR produit de la ferraille comme les autres broyeurs. Il soutient que les aciéries achètent la ferraille la moins chère sur le marché, pas la plus propre. Il ne comprend pas pourquoi le gouvernement aide une entreprise en particulier alors que tous les broyeurs du Québec perdent de l'argent depuis l'ouverture de TMR, selon lui.

Le montant du prêt à TMR « sera rendu public au cours des prochaines semaines dans les rapports concernant les engagements financiers du MEI et sera publié sur notre site internet », a précisé M. D'Auteuil, du MEI.

Il a été impossible de parler à quelqu'un de TMR hier.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Herbert Black