C'est un retentissant cri du coeur qu'a lancé, la semaine dernière, le producteur laitier Frédéric Poulin, de l'Isle-aux-Grues. Après 15 ans de travail acharné à développer son entreprise, le producteur agricole a décidé de mettre carrément les freins, incapable de composer davantage avec une réglementation tatillonne, des contraintes incessantes et un environnement hostile qui sapent littéralement ses énergies.

« Comment écoeurer un entrepreneur au Québec ? Un cadre réglementaire démesuré, l'obligation de faire travailler des firmes d'ingénieurs ou d'architectes pour le moindre petit projet, une loi environnementale sans précédent et aucune volonté politique de changement.

« Ben moi, ma limite est atteinte. Je ferme ce que j'ai commencé il y a cinq ans, je paye mes dettes, mais il n'y aura plus de développement de mon entreprise », a écrit la semaine dernière sur sa page Facebook le producteur laitier Frédéric Poulin.

On le voit bien, c'est un homme arrivé au bout du rouleau qui peut faire pareil constat. Au bout du fil, la voix de Frédéric Poulin est pourtant posée, très assurée même, sans les trémolos qu'un tel ras-le-bol devrait générer.

« Ça fait 15 ans que je développe mon entreprise laitière et la Fromagerie de l'Isle, mais, depuis quelques années, les pressions sur les prix, la santé animale, les normes environnementales, le financement de nos activités et même sur nos opérations ont atteint un niveau invivable.

« Ça me prend de 12 à 24 mois de travail pour réaliser des modifications ou des agrandissements à mes installations ou pour obtenir les certifications environnementales nécessaires pour opérer. Je n'ai tout simplement plus la force de continuer », m'explique stoïquement Frédéric Poulin.

Volonté de bâtir

Pourtant, le jeune entrepreneur, qui est venu s'établir à l'Isle-aux-Grues en 2003, avait la réelle intention de bâtir une entreprise solide et pérenne en achetant un troupeau de 25 vaches suisses pour alimenter la Société coopérative agricole de l'Île-aux-Grues, également propriétaire de la Fromagerie de l'Isle.

Cette coopérative a vu le jour en 1976 lorsque les 14 producteurs laitiers de l'Isle-aux-Grues ont décidé de se regrouper pour produire eux-mêmes leurs propres variétés de fromages, avec succès.

La Fromagerie de l'Isle offre des produits renommés tels que la Tomme de Grosse-Île, le Riopelle de l'Isle et un autre plus récent, la Bête-à-Séguin.

En 1976, l'Isle-aux-Grues comptait 14 producteurs laitiers pour alimenter la fromagerie ; en 2003, ils étaient cinq et aujourd'hui, ils ne sont plus que trois.

« Au cours des dernières années, j'ai racheté les quotas de trois producteurs qui ont quitté et j'ai dû investir dans la construction de nouveaux bâtiments. Il reste un producteur qui est âgé de 56 ans et qui va quitter lui aussi et un jeune qui vient tout juste de s'établir avec un troupeau de 25 têtes », souligne Frédéric Poulin.

Frédéric Poulin aurait dû normalement planifier l'achat de son partenaire aîné puisque le jeune producteur qui vient d'arriver à l'Isle-aux-Grues en a au moins pour cinq ans à absorber les coûts de son implantation. Mais l'entrepreneur a fait une croix sur cette prochaine expansion ; il n'a pas la force de l'envisager.

« Il n'y a pas longtemps, on était 5000 producteurs laitiers au Québec. Là, on va tomber d'ici deux ou trois ans à 3500. On n'a plus les conditions qu'il faut pour opérer normalement. Je suis celui qui le dit tout haut, mais je ne suis pas le seul de ma gang qui n'en peut plus », déplore-t-il.

Une vie impossible

Frédéric Poulin doit consacrer de 80 à 85 heures par semaine à son travail pour prendre soin de son troupeau, produire le lait et voir aux améliorations de ses équipements.

Il n'a pas les moyens de passer des heures à remplir des formulaires et à rencontrer des fonctionnaires pour tout et pour rien, d'autant plus que les conditions du marché se sont compliquées depuis que la production laitière québécoise doit faire face à la concurrence étrangère.

Alors qu'il doit voir à la réduction de ses coûts de production, Frédéric Poulin est par ailleurs, comme tous les producteurs agricoles québécois, victime d'une pénurie permanente de main-d'oeuvre disponible.

Normalement, il devrait compter sur cinq employés pour l'épauler, mais trois d'entre eux sont partis durant l'automne. Il s'est retrouvé seul avec un travailleur guatémaltèque pour exploiter les trois fermes laitières qu'il a consolidées.

« Je suis obligé d'embaucher des travailleurs québécois en priorité. Mais le problème, c'est qu'ils n'ont aucune fidélité. Il y en a deux qui ont quitté cet automne et un autre qui vient de me lâcher, et un de mes travailleurs guatémaltèques a dû revenir d'urgence dans son pays. »

- Frédéric Poulin

« Pour embaucher un travailleur immigrant, il faut compter six mois et beaucoup de formalités à remplir. On se retrouve donc à deux pour faire le travail jusqu'à l'été parce que je ne trouve pas de travailleurs québécois », explique l'entrepreneur exaspéré.

Frédéric Poulin a investi 4 millions dans son entreprise laitière depuis 2003 et là, il a décidé de stopper les frais. Il compte maintenant prendre les 10 à 15 prochaines années pour rembourser ses dettes. Il ne souhaite plus réinvestir.

« En plus de tout ça, ma femme, qui vit avec nos deux enfants à Lévis, vient de tomber malade. Je prends l'avion pour aller les visiter chaque semaine, mais là, je devrais être plus présent. Mais comment vais-je faire ? », s'interroge le producteur laitier.

Le phénomène de la détresse psychologique des agriculteurs n'est pas nouveau, mais il est de plus en plus documenté et visiblement, Frédéric Poulin en est bien conscient.

« Les études le démontrent, 50 % des producteurs agricoles souffrent de détresse psychologique. Moi, j'ai décidé de me protéger et de fermer les livres. Fini l'expansion, c'est trop compliqué », dit, avec fermeté, Frédéric Poulin.

PHOTO FOURNIE PAR FRÉDÉRIC POULIN

Le producteur laitier Frédéric Poulin