La famille Desmarais a toujours été d’une discrétion légendaire. Les frères Paul, jr et André n’ont pas dérogé d’un iota à cette règle durant leurs 23 ans à la tête du conglomérat.

Les communiqués sur les résultats financiers de la Power Corporation (POW) et de la filiale Financière Power (PWF) étaient laconiques. Jamais les deux co-chefs de la direction ne discutaient de leurs résultats avec les analystes lors de téléconférences, comme le font les autres dirigeants d’entreprises en Bourse.

Tenez, j’ai souvenir d’avoir appelé à l’ex-VP des relations publiques pour lui demander de commenter je ne sais plus trop quel dossier courant, il y a plusieurs années. Insistant pour avoir des commentaires, je lui ai demandé de me donner des renseignements techniques sur le mode « off the record », comme le font tous les journalistes.

« Off the record ?, m’a-t-il dit.

— Oui, oui, off the record, ni votre nom ni celui de Power ne sera mentionné.

— Alors, d’accord, off the record, euh : pas de commentaires. »

Cette discrétion des Desmarais, comme leurs émoluments gargantuesques, n’a pas soulevé trop de questions tant que les titres boursiers de POW et de PWF montaient.

Mais voilà, devant la stagnation relative des deux titres depuis 10 ans, les actionnaires ont été plus prompts à manifester leur mécontentement et à demander des comptes. On reproche aux Desmarais d’être des gestionnaires et non des entrepreneurs, comme le fut leur père, Paul Desmarais.

Dans le communiqué du 13 décembre qui annonce leur retraite, il est question d’un rendement annualisé de 11,7 % pour POW et de 13,1 % pour PWF durant les 23 ans où les deux frères ont été co-chefs de la direction. Ces rendements incluent ceux des dividendes, d’environ 5 % par année.

Mais il ne faut pas se leurrer, l’essentiel de la montée en Bourse a eu lieu durant les 12 premières années de leur règne, alors que tout le secteur financier grimpait aussi allègrement.

Par exemple, POW a été propulsée de quelque 700 % entre 1996 et le sommet de 2008. La crise financière de 2008 a fait dégringoler le titre, comme tous les autres. Mais depuis l’après-crise financière (en juillet 2009), il y a 10 ans, l’action a fait du yoyo entre 22 $ et 32 $, essentiellement, alors que le secteur financier a continué de monter.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Évolution boursière de Power Corporation comparée au secteur financier depuis 1998

En mai dernier, plus de 30 % des actionnaires minoritaires ont d’ailleurs refusé d’appuyer la reconduction des deux frères Desmarais au conseil d’administration de POW, une proportion importante dans ce milieu.

En octobre 2017, le gestionnaire de fonds Graeme Roustan avait tenté de secouer le bateau, se plaignant des mauvais rendements de l’entreprise et exigeant que Power se concentre sur le seul secteur financier.

En annonçant la réorganisation, vendredi, le nouveau PDG, Jeffrey Orr, dit avoir compris le message des actionnaires. Auprès de mon collègue Richard Dufour, il a évoqué la possibilité, dans l’avenir, de répondre aux questions des analystes lors de téléconférences sur les résultats.

La nouvelle Power concentrera justement ses efforts sur le secteur financier et se départira de certains actifs hors de ce secteur, a-t-il dit. M. Orr, bras droit des Desmarais depuis des lunes, devra trouver des occasions de croissance, alors que l’industrie des fonds communs, où Power est très présente (Investors, Mackenzie), perd des plumes au profit des fonds indiciels.

Dans la foulée de la retraite des frères Desmarais comme co-chefs de la Power Corporation, le conglomérat entreprend une importante réorganisation, qui aura pour effet de fusionner la Corporation et la Financière.

Pour y parvenir, la Corporation devra émettre environ 250,6 millions d’actions à droit de vote limité, qui seront essentiellement offertes aux actionnaires minoritaires de la Financière, à raison de 1,05 action de la Corporation par action de la Financière. Le rachat des actionnaires minoritaires de la Financière par Power en fait une transaction de 8 milliards.

Les actionnaires ont bien accueilli la nouvelle, le titre des deux entreprises grimpant de 7,9 % et de 9,9 % vendredi. Il faut dire que la réorganisation promet de procurer des économies de 50 millions par année d’ici deux ans, soit le quart des frais d’exploitation. C’est sans compter une diminution des frais de financement de 15 millions.

Pour garder le contrôle de la Corporation, les deux frères Desmarais achèteront entre 5 et 6 millions d’actions privilégiées à droit de vote multiple (10 votes par action). La transaction se fera par l’entremise de Pansolo Holding, société de portefeuille contrôlée par la Fiducie familiale résiduaire Desmarais. Ils conserveront ainsi entre 50,2 % et 50,6 % des droits de vote.

La transaction devra être approuvée par la Cour supérieure, comme l’exige la Loi canadienne sur les sociétés par actions.

En devenant respectivement président et président délégué du conseil d’administration, Paul, jr, 65 ans, et André, 63 ans, verront leur charge de travail réduite. André, faut-il rappeler, avait dû prendre quelques mois de repos, en 2017, à la suite de problèmes cardiaques.

Ils auront, en quelque sorte, des positions semblables à celles de Serge Godin, du Groupe CGI, et d’Alain Bouchard, d’Alimentation Couche-Tard.

Ce changement sera-t-il suffisant pour redresser durablement le rendement de l’organisation ? Espérons-le.