Maxime Ménard est devenu PDG de la firme de gestion de placements Jarislowsky Fraser il y a tout juste un an, dans la foulée de la transaction qui a amené le fondateur à vendre son entreprise à la Banque Scotia. Depuis qu’il est en poste, le gestionnaire s’est donné le mandat de préserver la vision et la philosophie de gestion de Stephen Jarislowsky tout en continuant de défendre ses principes de saine gouvernance.

Vous occupez le poste de PDG de Jarislowsky Fraser depuis un an maintenant. Qu’est-ce qui a changé depuis la vente de la société à la Banque Scotia et le départ de M. Jarislowsky ?

L’annonce de la vente s’est faite en février 2018, et la transaction a été finalisée en mai. M. Jarislowsky n’était plus PDG comme tel de la firme depuis 2012. C’était Pierre Lapointe qui était le président du comité exécutif tandis que M. Jarislowsky était le président du conseil. C’était une structure plus familiale que celle de maintenant. Je me suis joint à la firme il y a 16 ans et j’étais vice-président exécutif avant ma nomination comme PDG. J’ai eu la chance de travailler avec M. Jarislowsky et de l’avoir comme mentor et c’est pourquoi je cherche à poursuivre ce qu’il a construit. En 60 ans, il a fait de Jarislowsky Fraser l’une des plus importantes sociétés de gestion de placements au Canada avec ses 42 milliards d’actifs sous gestion. Et je suis là pour préserver la vision et la philosophie de Stephen Jarislowsky et ses principes de saine gouvernance.

La Banque Scotia a d’ailleurs accepté de payer cher pour le nom et la réputation de Jarislowsky Fraser. Comment la transaction a-t-elle été perçue à l’interne ?

C’est M. Jarislowsky qui a négocié la vente avec la Banque Scotia, mais la transaction a été acceptée à 100 % par la trentaine d’associés principaux de la boîte. C’est votre interprétation de dire que la banque a payé cher pour acquérir la firme, mais c’est certain qu’elle voulait réaliser un partenariat stratégique. En acquérant Jarislowsky Fraser, c’était une façon d’avoir un accès instantané à une crédibilité dans le marché institutionnel. La banque a reconnu la valeur de notre empreinte sur le marché, mais elle a vu le potentiel que ses activités à l’international pourraient générer pour nos activités de gestion institutionnelle et de gestion de fortunes privées.

De quelle façon se segmentent vos activités entre la gestion institutionnelle et la gestion privée et combien de professionnels de l’investissement travaillent chez vous ?

La gestion de fonds pour les clients institutionnels représente 75 % de nos actifs, soit 32 milliards. La gestion de fortunes privées totalise des actifs de 10 milliards ; 80 % de nos actifs proviennent du Canada et 20 %, de clients de l’étranger. On va profiter de la forte présence de la Scotia en Amérique latine pour obtenir des mandats de gestion tant institutionnels que privés. En Amérique du Sud, on reconnaît la valeur du marché canadien, celle de nos entreprises championnes et notre stabilité monétaire. On a une équipe interne d’une trentaine d’analystes qui produisent toute notre recherche qui est basée sur notre connaissance profonde des entreprises. On a une vingtaine de gestionnaires de fortunes privées et une dizaine de gestionnaires institutionnels. Notre siège social est à Montréal et va rester à Montréal parce que c’est ici qu’on travaille depuis 60 ans à développer l’écosystème financier. On a des bureaux à Toronto, Calgary, Vancouver et New York.

Jarislowsky Fraser s’est fait un nom à titre de firme d’investissement qui privilégie une approche fondamentale, d’investisseur à long terme. C’est toujours le cas ?

Absolument. Les clients viennent chez nous pour notre style de gestion qui vise la préservation et l’appréciation du capital en s’appuyant sur une approche fondamentale. On fait des investissements à long terme dans les actions d’entreprises que l’on connaît intimement. On est disciplinés. Cela dit, on va bientôt offrir à nos clients des investissements privés dans les infrastructures. Il y a une demande pour les actifs alternatifs. On ne développera pas notre propre expertise dans ce secteur-là, on va plutôt faire des partenariats stratégiques avec des fonds spécialisés.

Ça ne déroge pas à la vision de Stephen Jarislowsky qui était contre ces catégories d’actifs où il refusait d’investir parce qu’il disait ne pas les comprendre ?

C’est vrai que M. Jarislowsky ne voulait pas de portefeuilles alternatifs dans l’immobilier ou les infrastructures. C’est pourquoi on ne développera pas cette catégorie. On ne veut pas diluer notre expertise de notre activité principale — l’investissement boursier — pour en développer une nouvelle. On va s’associer à des experts du domaine pour offrir cette alternative à nos clients privés et institutionnels.

Vous avez, l’été dernier, haussé de façon importante votre participation dans SNC-Lavalin pour la ramener à un niveau supérieur à 10 %. Êtes-vous convaincu que les problèmes de la multinationale montréalaise sont derrière elle ?

Écoutez, on est un investisseur de longue date dans SNC-Lavalin et notre participation s’est diluée à la suite de plusieurs financements qui ont eu lieu au cours des dernières années. Il y a eu beaucoup de bruit autour de cette entreprise dans la dernière année et quand le bruit devient plus fort que la valeur, cela crée des opportunités. Malgré la vente de sa participation dans l’autoroute 407, on considère que cela reste un bel actif et on croit qu’il y avait une déconnexion entre sa valeur et la réalité.

Jarislowsky Fraser n’a jamais fait d’acquisitions au cours de son histoire. Est-ce que la Banque Scotia souhaite que vous deveniez son vecteur d’expansion dans la gestion d’actifs ?

C’est vrai qu’on n’a jamais fait d’acquisitions, et on pourrait en réaliser, mais à la condition que cela permette une expansion géographique. On n’achètera pas une firme qui fait la même chose que nous dans notre marché. On pourrait penser à une acquisition dans la gestion de fortune aux États-Unis ou à l’international, cela dépendra des opportunités.