Elle s’appelle Capital régional et coopératif Desjardins (CRCD). Et on lui demande de financer quoi ? Une coopérative de médias régionaux. Difficile d’avoir une demande mieux ciblée.

Pourtant, le Mouvement Desjardins, par la voix de son président Guy Cormier, a rejeté tout investissement dans Groupe Capitales Médias (GCM). « Les éléments de risque dans ce dossier étaient à un niveau plus grand que le niveau de risque qu’une organisation comme Desjardins peut prendre », a-t-il dit jeudi dans une mêlée de presse.

PHOTO ERICK LABBÉ, ARCHIVES LE SOLEIL

Le Mouvement Desjardins, par la voix de son président Guy Cormier, a rejeté tout investissement dans Groupe Capitales Médias.

Ah bon ?

Pour mieux comprendre, il faut savoir que CRCD est le principal bras investisseur du Mouvement Desjardins et qu’elle a un actif de 2,2 milliards. Contrairement aux caisses pop, CRCD ne fait pas de prêts hypothécaires résidentiels ni ne gère des comptes chèques ; elle investit dans les PME. Sa mission est même de « valoriser, accompagner et garder les PME au Québec », selon son site internet.

En clair, CRCD existe pour prendre des risques. Elle est même obligée d’en prendre davantage que la norme. Pourquoi ? Parce que son argent lui vient de petits investisseurs québécois qui achètent des actions de CRCD grâce à un crédit d’impôt de 35 % venant du gouvernement du Québec.

Sans ce crédit de 35 %, les petits investisseurs n’accepteraient pas de placer un maximum de 3000 $ par année dans CRCD. Ces actionnaires s’attendent à avoir des rendements moindres, puisqu’ils sont compensés par le crédit d’impôt.

J’en sais quelque chose, je suis moi-même actionnaire de CRCD depuis plusieurs années.

Alors, n’est-il pas curieux de voir Desjardins refuser net de prendre le risque de sauver GCM ? L’enjeu, c’est l’avenir de six médias régionaux qui publient de l’information locale de Sherbrooke à Chicoutimi, en passant par Québec, Trois-Rivières, Granby et Ottawa. De l’information crédible qui permet aux régions, bien souvent, d’avoir un porte-voix de leurs préoccupations.

Je conçois que l’industrie des médias ne soit pas ce qu’on appelle un secteur en plein essor. Et bien franchement, je ne suis pas convaincu de la viabilité financière de la future entreprise, menée par la Coop des employés GCM.

Pour m’en convaincre, il me faudrait passer au crible le plan d’affaires, mesurer le degré d’avancement des technologies qui remplaceront le papier, jauger la solidité des revenus (notamment publicitaires), calculer l’impact des compressions, analyser la structure corporative, apprécier le niveau d’engagement des employés (qui investissent eux-mêmes dans le projet), etc.

Je conçois, de plus, que CRCD ne soit pas l’Armée du Salut, pas plus que le Fonds de solidarité FTQ ou Fondaction CSN. Leur argent ne doit pas servir à combler les pertes et à payer les salaires des journalistes, mais à appuyer un projet de relance rentable de l’entreprise.

Mais je me demande : pourquoi le gouvernement du Québec accorde-t-il un crédit d’impôt de 35 % si la firme qui en bénéficie ne prend pas le risque qui doit y être associé ?

CRCD, faut-il savoir, a offert à ses actionnaires un rendement annuel de 7,3 % sur trois ans, soit le même rendement que la médiane des fonds équilibrés dans l’industrie (7,37 %). Sur cinq ans, le rendement est de 6,1 %, contre 6,4 % pour la médiane des fonds.

Visiblement, CRCD ne semble pas prendre plus de risques que les autres. De fait, ses rendements jumelés à son crédit d’impôt de 35 % sont tellement bons que tous les ans, les investisseurs se ruent pour contribuer, si bien que Desjardins doit tirer au sort pour choisir qui seront les chanceux.

Je ne suis pas le seul à se demander pourquoi Desjardins se tient sur les lignes de côté. La semaine dernière, un ministre du gouvernement du Québec m’a aussi confié qu’il ne comprenait pas, étant donné le crédit d’impôt. Un haut dirigeant du Fonds FTQ se montrait aussi perplexe.

Le retrait de Desjardins n’est pas sans conséquence. Il incite le Fonds FTQ à remettre en question son investissement envisagé de 2 millions. Et leur absence affaiblirait la position des autres contributeurs envisagés que sont Fondaction CSN (1,5 million), Filaction (0,5 million), Investissement Québec (2,5 millions), la Fiducie Chantier de l’économie sociale (1,5 million) et le Réseau d’investissement social du Québec (0,3 million).

Desjardins Capital s’explique

Joint au téléphone, le chef de l’exploitation de Desjardins Capital, Luc Ménard, ne voit pas les choses du même œil. Desjardins Capital est le gestionnaire de fonds qui chapeaute CRCD, dont c’est d’ailleurs le principal actif (88 %).

D’abord, il juge que CRCD prend suffisamment de risques eu égard à sa mission. Les bons rendements relatifs s’expliquent notamment par certains coups de circuit, comme l’offre non sollicitée du géant Michelin sur Camso, dont CRCD était actionnaire.

Il rappelle que CRCD refuse 9 dossiers d’entreprises en démarrage sur 10 et 2 dossiers d’entreprises en développement sur 3.

Il ne veut pas donner de détails sur le dossier de GCM, mais dit trouver que « le risque est trop élevé à cette étape-ci. Il n’est pas dit que, dans quelques semaines, dans quelques mois, ce ne sera pas possible d’aider. Il y avait des enjeux structurants à clarifier, et je serais surpris qu’ils y parviennent à court terme. Tout est éventuellement possible, s’il y a un plan d’affaires amélioré », a-t-il dit.

Après l’entretien, le porte-parole de Desjardins Capital, Richard Lacasse m’écrit : « La décision du Mouvement Desjardins de ne pas participer était principalement basée sur des éléments non financiers. Nous croyons davantage à une approche globale qui vise l’ensemble de l’industrie des médias écrits plutôt qu’une approche par projet. C’est pourquoi nous sommes ouverts à une initiative provenant de l’État à laquelle le privé dont Desjardins pourrait participer, comme la création d’un fonds. »