La dame de la Gaspésie m’a envoyé plusieurs SOS. Son secteur manque cruellement de personnel et elle est découragée.

Elle n’est pourtant pas propriétaire d’un restaurant, où les employés font souvent défaut. Elle est dentiste, ses employés sont bien payés et ceux qui ont déjà eu mal aux dents savent à quel point son métier est essentiel. En région, dit-elle, il manque de dentistes, d’hygiénistes, d’assistantes et de secrétaires dentaires.

« Notre secteur va frapper un mur par manque de personnel qualifié, mais franchement, plus personne ne sait quoi faire », m’écrit-elle.

Pourquoi j’en parle ? Parce que dans le débat émotif sur l’immigration, les critiques perdent de vue l’essentiel, soit la nécessité d’une meilleure adéquation entre les immigrants et les besoins clés du marché du travail.

Tous déplorent que le gouvernement restreigne les domaines de formation qui rendent les étudiants étrangers admissibles au Programme de l’expérience québécoise (PEQ). Ce programme est une sorte de voie rapide pour immigrer.

Le printemps dernier, pourtant, un consensus s’est dégagé au congrès de l’Association des économistes québécois : pour aider notre économie, il ne faut pas nécessairement plus d’immigrants, il faut surtout des immigrants qui collent mieux à la réalité du marché du travail.

Certes, les entreprises s’arrachent la main-d’œuvre qualifiée et le taux d’emploi des immigrants du Québec dépasse maintenant celui des natifs.

Le sous-emploi des immigrants n’est donc plus un argument justifiant un frein à l’immigration. Néanmoins, il n’est pas clair que l’immigration tous azimuts soit toujours favorable à l’économie.

Au congrès, une étude de l’Institut du Québec a secoué les certitudes. Selon cette étude, hausser le seuil d’immigration au Québec aurait pour effet de diminuer la croissance du PIB par habitant ou, autrement dit, la productivité. Cela nuirait donc à la capacité de l’État de financer adéquatement nos services publics.

Si l’analyse avait été présentée par un institut anti-immigrants, je l’aurais prise avec des pincettes. Mais, au contraire, la directrice de l’Institut du Québec, Mia Homsy, est plutôt pro-immigration. Elle s’est assurée de la validité de l’étude et y a apporté beaucoup de nuances.

En gros, la problématique est la suivante : oui, les immigrants pourvoient des postes dans les entreprises, au grand plaisir du milieu des affaires. Mais ces immigrants deviennent aussi d’importants demandeurs de services, et notamment de services publics, comme la santé, l’éducation, le réseau routier, etc. La pénurie d’enseignants et d’infirmières, par exemple, s’explique entre autres par le boom de l’immigration.

Les nouveaux arrivants sont « rentables » pour notre économie s’ils occupent des emplois à forte demande, payants et à forte valeur ajoutée. Leurs impôts et taxes rapportent alors davantage que le coût des services. Ce n’est pas le cas s’ils occupent des emplois peu qualifiés, payés 14 $ l’heure, par exemple.

D’où l’importance d’avoir des immigrants dont la formation colle à nos besoins (et de reconnaître leur formation, bien sûr). Or, une autre étude présentée au congrès a fait le constat que le Québec est l’un des endroits où le taux de surqualification des immigrants est le plus élevé au monde. La chose s’explique aisément : nos critères nous ont incités à accueillir beaucoup d’universitaires, mais pas nécessairement dans des secteurs à forte demande, et pas assez de techniciens.

Personne ne sait quels besoins devront combler le marché du travail dans 10 ans, mais une chose est claire : des bacheliers en musique, en science politique ou en histoire de l’art ne seront pas embauchés comme techniciens en hygiène dentaire, ni comme soudeurs ou informaticiens. Ils sont bien formés, mais pas dans le bon domaine.

Une montagne de nuances s’impose. Ce que de telles études ne disent pas, c’est que ces étudiants moins recherchés finissent souvent par se placer et par contribuer à l’essor économique. De plus, les enfants de tels immigrants vont probablement s’instruire, plus tard, suivant le modèle de leurs parents. Enfin, les immigrants sont souvent des entrepreneurs, ce dont nous avons besoin.

Il reste que les intentions du gouvernement Legault de mieux sélectionner les immigrants sont fort légitimes.

Dans le cas des étudiants, l’équipe du ministre Jolin-Barrette s’en est remise à une étude minutieuse du ministère de l’Emploi pour établir les formations qui profiteront du PEQ. L’étude de 64 pages établit un diagnostic détaillé des besoins de main-d’œuvre, région par région. Elle passe au crible 500 professions : techniciens en génie industriel, pharmaciens, mécaniciens, etc.(1)

Maintenant, l’étude n’a pas été conçue pour restreindre des domaines d’études pour l’immigration. La concordance entre les métiers et les champs d’études n’est visiblement pas parfaite. Par exemple, à Baie-Comeau, les entreprises s’arrachent les étudiants en technologie forestière, mais le programme n’est pas sur la liste du PEQ.

Le Ministre aurait eu intérêt à consulter davantage et à peaufiner l’exercice avant de trancher. Il aura l’occasion de le faire, puisqu’une nouvelle mouture de l’étude sera terminée en décembre.

Quoi qu’il en soit, dans ce débat émotif, ne comptez pas sur les groupes qui en sont exclus pour l’appuyer. Les universités et certains cégeps vivent grâce aux étudiants étrangers. Rendre certains de leurs programmes moins attrayants pour l’immigration, même si c’est justifié économiquement, ne recevra jamais leur aval.

(1)L’étude a été approuvée par le Comité des partenaires du marché du travail, qui est un regroupement du patronat, des syndicats, du milieu de l’éducation et de l’immigration, notamment.