« Un peu plus haut, un peu plus loin », chante Ginette Reno.

C’est ce qui risque de se produire avec le déficit du gouvernement fédéral durant le prochain mandat du gouvernement minoritaire de Justin Trudeau.

Avant la campagne électorale, le déficit fédéral était prévu à 23 milliards en 2020-2021.

Si les libéraux avaient été élus majoritaires, il aurait augmenté au moins à 27 milliards en raison des promesses électorales libérales.

Maintenant que les libéraux forment un gouvernement minoritaire, il sera probablement encore plus élevé que 27 milliards, car il faudra négocier avec les partis de l’opposition — vraisemblablement des milliards en dépenses supplémentaires à négocier avec le Nouveau Parti démocratique (NPD).

Et c’est sans compter qu’une récession pourrait pointer le bout de son nez d’ici deux ans, comme semblent le penser bien des économistes. Dans ce cas, le déficit du gouvernement fédéral pourrait atteindre la barre des 50 milliards de dollars par an, comme à l’époque de la récession de 2008-2009.

« Il faudra le payer un jour »

À court terme, les économistes ne s’inquiètent pas trop de cette hausse du déficit fédéral. Après tout, même à 23 milliards de déficit prévu en 2019-2020, celui-ci est relativement faible (- 0,9 % du PIB), tout comme la dette fédérale (à 30,9 % du PIB, le Canada a le meilleur ratio dette fédérale/PIB des pays du G7, selon le gouvernement Trudeau).

« Le ministre fédéral des Finances pourrait tolérer un déficit de 30 milliards par an puisque ce serait inférieur à 1 % du PIB, dit Douglas Porter, économiste en chef de BMO Groupe Financier. Je ne suis pas particulièrement préoccupé par le retour au déficit zéro, mais je ne vois pas l’intérêt de donner du tonus à l’économie en faisant des déficits quand l’économie va bien. Malheureusement, il faudra le payer un jour [ce déficit]. »

« Ça ne m’inquiète pas à court ou à moyen terme, mais ça m’inquiète à long terme qu’on n’ait aucun plan de retour à l’équilibre budgétaire », dit Dominique Lapointe, économiste chez Valeurs mobilières Banque Laurentienne.

Déficit fédéral prévu

Selon les engagements électoraux du Parti libéral du Canada

2019-2020 (déficit réel prévu par le gouvernement du Canada) : - 20,7 milliards
2020-2021 : - 27,4 milliards
2021-2022 : - 23,7 milliards
2022-2023 : - 21,8 milliards
2023-2024 : - 21,0 milliards

Trois raisons

La durée d’un gouvernement minoritaire varie généralement de quelques mois à deux ans. La réduction du déficit n’étant pas un enjeu pressant, le gouvernement Trudeau n’en fera pas une priorité. Pour trois raisons.

Premièrement, le gouvernement Trudeau lui-même n’est pas pressé de revenir à l’équilibre budgétaire. « Si on ne l’a pas eu durant un mandat de quatre ans et qu’on n’en a pas entendu parler durant la campagne électorale, je vois mal comment un gouvernement minoritaire pourrait le faire », dit le professeur Luc Godbout, chercheur principal à la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke.

Deuxièmement, les libéraux auront des partis de l’opposition à satisfaire (au moins en partie) s’ils veulent gouverner. En 2004, le gouvernement libéral minoritaire de Paul Martin avait obtenu l’appui du NPD notamment en investissant davantage dans les logements sociaux et en éducation. Parmi les points en commun des libéraux et du NPD cette fois : la création d’un régime national d’assurance médicaments, des mesures pour contrer la spéculation immobilière et de nouvelles taxes sur les biens de luxe et les géants numériques. Au bout du compte, le gouvernement Trudeau devra certainement dépenser quelques milliards de plus pour avoir les appuis nécessaires. Rien de majeur, selon l’économiste Dominique Lapointe. « Si ça coûte plus cher, ce sera à la marge », dit-il.

La troisième raison qui pourrait gonfler le déficit fédéral : si une récession pointe le bout de son nez. La dernière récession remonte à plus de 10 ans (mai 2009), mais les économistes sont de plus en plus nombreux à en craindre une (40 % de risques d’ici deux ans selon la Banque Nationale, 30 % d’ici un an selon BMO Groupe Financier).

Si une récession se concrétise, le déficit fédéral bondirait rapidement : les revenus du gouvernement diminueraient, et ses dépenses augmenteraient. En période de récession, un gouvernement augmente souvent ses dépenses pour atténuer le choc économique.

En 2009, Ottawa était passé de l’équilibre budgétaire à un déficit d’environ 50 milliards par an en l’espace de deux ans. (S’il y a une récession prochainement, celle-ci s’annonce toutefois moins douloureuse que celle de 2008-2009). En cas de récession, il ne serait pas étonnant que le déficit fédéral passe d’environ 25 milliards par an à 40 milliards par an, voire 50 milliards par an.

Au fond, c’est ce qui chicote un peu les économistes actuellement au sujet du déficit fédéral.

Il n’est pas très élevé, mais il est composé de dépenses récurrentes en période de prospérité économique.

« Dans l’éventualité d’une récession, on se retrouverait à la fois avec un déficit structurel [le déficit actuel] et un déficit conjoncturel [attribuable à la récession], dit l’économiste Dominique Lapointe. Pour résorber le déficit, ça prendrait alors des mesures assez importantes. »

« Quand l’économie va bien, on devrait justifier pourquoi on fait des déficits, pas le justifier en parlant du ratio dette/PIB, dit le professeur Luc Godbout. Ce que ça veut dire, c’est qu’on augmentera le radio dette/PIB quand l’économie ira mal. On est en train de dire que le ratio dette/PIB va être plus élevé pour les prochaines décennies. »