Les 350 employés du Groupe Capitales Médias (GCM) peuvent garder espoir, bien que la survie de l’organisation reste une opération complexe et délicate.

Hier, quatre groupes ont déposé des lettres d’intention au séquestre PwC, ai-je appris. Ces lettres sont un passage obligé avant le dépôt d’offres d’achat officielles, prévu normalement vendredi prochain, le 25 octobre.

Le responsable chez PwC, Christian Bourque, ne veut pas donner de détails. Il confirme toutefois avoir reçu quatre lettres valides, dont certaines touchent la totalité de GCM et d’autres, une partie seulement.

« La plupart demandent un délai additionnel. Il est possible qu’un court délai soit accordé, la situation financière de GCM allant mieux que prévu. Ce sera au juge de la Cour supérieure de décider, puisqu’il s’agit d’un dossier d’insolvabilité devant le tribunal », a dit M. Bourque.

Parmi les intéressés figure le Collectif des employés GCM, nom donné à l’entreprise à but non lucratif qui regroupera des coopératives d’employés des six quotidiens. Le collectif est une initiative de la CSN, syndicat qui représente les employés de cinq des six quotidiens. La campagne de financement auprès du public a permis de s’assurer d’engagements avoisinant les 2 millions, dont 600 000 $ venant des caisses syndicales locales, indique la Fédération nationale des communications (FNC-CSN) dans un communiqué.

Mais une question se pose : est-ce le rôle d’un collectif syndical de gérer une entreprise commerciale ?

Le but n’est pas de faire une offre à tout prix. On veut le mieux pour les employés. Si des offres sont meilleures que la nôtre, on verra.

Pascale St-Onge, présidente de la FNC-CSN

« Il faut être réalistes, l’entreprise est au bord de la faillite. Si le Collectif des employés dépose une offre, ce sera en toute connaissance de cause », poursuit la présidente de la FNC

Oui Le Devoir, non Québecor

Autre repreneur sur les rangs, selon mes informations : le quotidien Le Devoir. Le directeur Brian Myles n’a voulu faire aucun commentaire. Ces derniers mois, il avait manifesté un intérêt pour Le Soleil – principal quotidien en jeu – à la condition qu’une alliance ne mette pas en péril la situation du Devoir.

Selon mes informations, Québecor ne fait pas partie des quatre repreneurs potentiels qui ont manifesté leur intention de faire une offre. L’entreprise n’a pas voulu faire de commentaires, hier. Avant l’arrivée d’un séquestre au dossier, Québecor avait été pressentie pour reprendre GCM, mais elle envisageait alors de se départir des deux tiers des employés.

La CSN et le gouvernement

Le dossier de GCM, qui s’est placé sous la protection de la loi sur la faillite le 21 août, est particulier à plusieurs égards. D’abord, il est hautement politique. Non seulement son issue façonnera l’avenir de l’information régionale au Québec, mais c’est le bras investisseur du gouvernement (Investissement Québec) qui a le pouvoir de trancher, étant le plus important créancier garanti (près de 15 millions), et de très loin.

Autrement dit, le droit de vie et de mort sur GCM repose sur le gouvernement et son ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, de qui relève Investissement Québec.

Le processus de sollicitation d’offres reflète d’ailleurs cette mainmise gouvernementale, de même que l’influence de la CSN.

En temps normal, un séquestre recherche l’offre qui rapportera le plus aux créanciers, peu importe son effet sur les emplois ou sur la nature des activités futures de l’entreprise. Cette fois, c’est différent, selon ce qu’on peut constater dans l’avis de sollicitation.

Par exemple, les proposants doivent indiquer dans leur offre le nombre d’emplois qu’ils comptent maintenir, de même que « le traitement envisagé des accréditations syndicales et des régimes de retraite ». En vertu de l’article 45 du Code du travail, les accréditations syndicales doivent être maintenues lorsqu’il y a transfert d’une entreprise.

De plus, les proposants doivent déposer avec leurs offres un énoncé d’au plus 1000 mots qui détaille « la position de l’offrant sur l’indépendance de la presse écrite ».

Bref, le gouvernement veut préserver l’information régionale, les emplois et l’impartialité des nouvelles. Mais parviendra-t-il à conjuguer ces trois exigences, compte tenu de la fragilité de GCM ?

Selon les documents du séquestre, les six quotidiens ont des revenus annualisés de quelque 72 millions pour 2019. Leur public s’élève à 2,2 millions de lecteurs, dont 895 000 lecteurs sur papier.

Le journal Le Soleil est le plus important des six, avec des revenus prévus de 21,6 millions, suivi par Le Nouvelliste (Trois-Rivières) et Le Droit (Ottawa-Gatineau). GCM aura possiblement des pertes annuelles d’une dizaine de millions en 2019, même si le gouvernement du Québec a accordé un crédit d’impôt sur la masse salariale des journalistes.

Autre élément particulier dans ce dossier : le rôle de la CSN. Tout indique que les offres qui seront déposées le 25 octobre ou après ne contiendront pas grand-chose du point de vue financier.

Leur pertinence sera surtout liée à l’acceptation ou non, par la CSN et les employés, du probable chambardement des conditions de travail. Sans une entente au préalable avec la CSN – dont les accréditations syndicales sont garanties par le Code du travail –, il serait surprenant qu’un repreneur consacre temps, argent et énergie à la relance.

Or, la CSN est elle-même un offrant, en quelque sorte, par l’entremise du Collectif des employés GCM. Le syndicat et les employés se gardent donc une porte ouverte advenant que les conditions des offrants soient trop restrictives. Le hic, c’est qu’une offre intéressante pourrait ne viser qu’un ou deux quotidiens, par exemple ; cela obligerait les employés de ces quotidiens à se désolidariser des autres employés du Collectif, ce qui entraînerait le licenciement de ces derniers.

Bref, l’opération est délicate et complexe. Et elle pourrait se conclure par la fin de quotidiens plus que centenaire, comme Le Droit (fondé en 1913), ou presque centenaire, comme La Voix de l’Est (fondée en 1935).

Hier, Pascale St-Onge, de la FNC-CSN, m’a dit n’avoir encore été contactée par aucun repreneur pour négocier (à l’exception du Collectif des employés, bien sûr).