Cela fait plus de sept ans que les chiens de garde des investisseurs promettent une réforme en profondeur pour régler les conflits d’intérêts inhérents dans l’industrie des services financiers.

Finalement, ils ont accouché d’une souris la semaine dernière.

Je ne vous dis pas qu’il n’y a aucune avancée. Mais on est tellement loin de l’ambitieux projet mis de l’avant en 2012 que c’en est décourageant.

« La majorité des gens impliqués dans la défense des investisseurs et consommateurs de services financiers sont littéralement déroutés par ce document », m’a confié Robert Pouliot, professeur enseignant en risque fiduciaire à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM.

Pourtant, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) n’ont pas ménagé leurs efforts. Cette entité qui regroupe les différentes instances provinciales comme l’Autorité des marchés financiers (AMF) au Québec a mené deux vagues de consultation, tenu des tables rondes, commandé des études…

On espérait que ce long processus déboucherait sur l’imposition d’un « devoir de fiduciaire » qui aurait forcé les conseillers à agir dans l’intérêt supérieur de leurs clients.

Ça vous semble tout naturel ? Mais c’était trop demander.

En bout de piste, les ACVM ont lâché l’os et sont rentrées gentiment dans leur niche. L’Ontario a joué un rôle déterminant dans ce repli, après l’élection de Doug Ford comme premier ministre.

Le puissant lobby des institutions financières peut se frotter les mains…

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On est tellement loin de l’ambitieux projet mis de l’avant en 2012 que c’en est décourageant, déplore notre chroniqueuse.

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La « réforme axée sur le client » qui entrera en vigueur graduellement d’ici la fin de 2021 rehausse quand même les obligations des représentants qui distribuent des produits financiers.

« Le client va être dans une meilleure situation pour comprendre ce qu’on lui propose et obtenir un produit qui lui convient et qui lui est offert dans un contexte où ses intérêts à lui seront placés en premier », m’a assuré Frédéric Pérodeau, surintendant de l’assistance aux clientèles et de l’encadrement de la distribution à l’AMF.

D’abord, le représentant ne pourra plus se présenter de manière trompeuse, en s’affublant de toutes sortes de titres pompeux, comme directeur principal ou vice-président, alors qu’il n’occupe aucune fonction administrative réelle dans la firme. Très bien. Il était temps de faire le ménage là-dedans.

Au moment de l’ouverture de compte, le représentant devra poser plus de questions au client pour s’assurer que le compte convient effectivement à ses besoins. Il devra notamment s’enquérir de son niveau de connaissances en placement. Les formulaires seront plus détaillés. Et le client devra confirmer l’exactitude des renseignements colligés.

De plus, le client recevra davantage d’informations sur les frais imposés par la firme et leur incidence à long terme sur ses rendements.

Enfin, le représentant devra donner préséance aux intérêts du client lorsque viendra le temps de choisir des placements. Autrement dit, il devra opter pour le produit qui offre le meilleur rendement/risque pour le client et non pas la commission la plus juteuse pour lui-même.

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Voilà de belles intentions. Mais les ACVM tournent autour du pot. Au lieu de s’attaquer de front aux conflits d’intérêts, elles préfèrent les encadrer.

« Cela oblige donc le régulateur à prescrire un nombre excessif de règles et comportements pour cerner une multitude d’aspects en l’absence d’une approche holistique et vérifiable », déplore M. Pouliot.

Gare à la paperasse ! Après ça, gagez-vous que l’industrie va se plaindre que son fardeau réglementaire est trop lourd ?

Pour les consommateurs, il aurait mieux valu abolir purement et simplement les commissions de maintien, qui sont une grande source de conflits d’intérêts.

Dans l’industrie des fonds communs de placement, les familles de fonds versent directement une commission annuelle d’environ 1 % aux représentants. Cette commission intégrée est puisée à même l’actif du client, sans que celui-ci la voie vraiment passer.

Or, cette structure de rémunération par un tiers encourage les conseillers à choisir les fonds qui leur procurent la meilleure commission, au lieu de focaliser sur les produits qui offrent le plus grand potentiel de rendement pour leurs clients.

Officiellement, les travaux des ACVM se poursuivent à ce chapitre et devraient mener à un positionnement public au cours des prochains mois. Mais il ne faut pas s’attendre à des miracles…

D’autres éléments plus délicats ont aussi été mis sur la voie de service pour ne pas retarder l’entrée en vigueur des éléments qui faisaient consensus.

Ainsi, il faudra attendre pour savoir si les commissions de suivi seront interdites ou non chez les courtiers directs qui vendent des fonds communs sur l’internet sans offrir de conseil aux investisseurs autonomes. Cela tombe sous le sens qu’ils ne touchent pas de commission pour un service qu’ils n’offrent pas.

L’encadrement des ententes d’indication reste aussi en suspens. Les autorités voulaient plafonner et limiter dans le temps la somme que certains conseillers paient pour obtenir la référence d’un client. L’objectif était de s’assurer que le client ne se retrouve pas à payer plus cher pour financer la commission que son conseiller doit verser pour le servir.

« Mais l’industrie nous a amenés à reporter les travaux pour aller chercher plus d’information sur la variété de ces ententes-là qui fait en sorte qu’il n’est pas possible de s’y intéresser avec la recette que nous avions pensée », m’a expliqué M. Pérodeau.

Alors ce dossier a été reporté à un autre chantier réglementaire qui se mettra en branle sous peu.