Pour savoir si la paye des grands patrons des sociétés publiques est méritée, encore faut-il savoir combien ils gagnent. Je me suis souvent buté à cette difficulté depuis le début de ma carrière, et je ne suis pas le seul.

Cette semaine, justement, l’Institut sur la gouvernance (IGOPP) a publié une vaste étude sur la gestion des 24 principales sociétés d’État du Québec et sa conclusion est claire à ce sujet : « les informations divulguées [sur la rémunération des hauts dirigeants] sont souvent insuffisantes et presque toujours incomplètes », dit le rapport.

Pire encore : 22 des 24 sociétés sont soumises à la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État (LGSE), et une seule parmi celles-ci respecte pleinement l’article 39 de cette loi, adoptée en 2006. Cet article stipule que ces sociétés ont l’obligation d’inclure dans leur rapport annuel « la rémunération, y compris la rémunération variable et les autres avantages, versée à chacun [de leurs] cinq dirigeants les mieux rémunérés ».

Il va de soi que la divulgation complète doit inclure les primes, le régime de retraite, les avantages sociaux et l’indemnité de départ, s’il y a lieu. Or, 21 des 22 sociétés concernées « ne présentent généralement qu’une ou deux composantes de la rémunération et ne font jamais état des valeurs des régimes de retraite dont bénéficient les hauts dirigeants », est-il écrit dans le rapport.

Parmi ces 22 sociétés se trouvent notamment la Société des alcools du Québec (SAQ), Investissement Québec, Loto-Québec, la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) et Retraite Québec. Hydro-Québec et la Caisse de dépôt et placement du Québec sont les deux autres des 24 sociétés, mais elles ont leur propre loi constitutive. La Caisse fait une divulgation complète, selon le rapport, mais ce n’est pas le cas d’Hydro-Québec.

Par ailleurs, 12 des 24 sociétés mentionnent accorder des bonis annuels, mais ne précisent pas comment ils sont établis, si bien que le public n’est pas en mesure de savoir si c’est mérité. Cette divulgation s’impose en particulier pour les quatre sociétés dont la rémunération n’est pas fixée par le gouvernement, soit Hydro-Québec, Investissement Québec, Loto-Québec et la SAQ, fait valoir le rapport.

L’IGOPP n’est pas la première à dénoncer cette opacité. En mai, le Vérificateur général du Québec (VG) en était venu à des conclusions semblables, quoique pour un nombre plus restreint de sociétés.

Entre autres, le VG dénonçait le fait que des primes d’embauche et des indemnités de départ n’avaient pas été divulguées par Investissement Québec et la SAQ.

Pour 19 des 24 sociétés analysées par l’IGOPP, précisons-le, les PDG sont considérés comme étant titulaires d’un emploi supérieur du gouvernement et leur rémunération est fixée selon les échelles gouvernementales. Il reste que leur paye complète devrait figurer au rapport annuel et être bien explicitée.

Le rapport se penche aussi sur la gouvernance des conseils d’administration de ces sociétés, bref, sur la qualité de leur gestion. Et à ce chapitre, certaines font bonne figure, alors que d’autres, beaucoup moins. Ainsi, six des 24 sociétés obtiennent une note globale de 80 % ou plus, alors que trois sont à moins de 70 %. La moyenne (76 %) s’est néanmoins améliorée par rapport à 2017 (71 %), lors du dernier rapport.

Parmi les critères analysés, outre la divulgation et la reddition de comptes, mentionnons la composition du conseil, la dynamique des séances du conseil et de ses comités, ainsi que le processus de sélection et d’évaluation des membres du conseil.

Au sommet de la bonne gouvernance figurent la Société de la Place des Arts de Montréal (89 %) et la Société des établissements de plein air du Québec ou SEPAQ (88 %). La queue est occupée par la Régie des installations olympiques (68 %), la Société du Grand Théâtre de Québec (67 %) et la Société du Centre des congrès de Québec (66 %). La Caisse de dépôt et Hydro-Québec obtiennent 82 % pour la gouvernance de leur conseil.

Parmi les carences relevées par l’IGOPP, mentionnons le manque relatif d’expérience des membres du conseil de sociétés d’État, de même que le taux d’assiduité moyen aux réunions de certains conseils. Ainsi, le taux de présence des administrateurs aux réunions est de seulement 76 % au Conseil des arts et des lettres du Québec, de 79 % à Retraite Québec et à la SEPAQ, et de 81 % à Investissement Québec. Ce taux atteint 93 % à la Caisse de dépôt et 91 % chez Hydro-Québec.

Il faut dire que 16 des 24 sociétés ne rémunèrent pas les administrateurs qui siègent à leur conseil, contrairement à ce qui est recommandé pour avoir une équipe chevronnée.

Autre élément digne de mention : le processus d’évaluation formel du travail du conseil. Selon le rapport, « trois sociétés fournissent peu d’informations sur cette démarche », nommément la Caisse de dépôt, Hydro-Québec et Investissement Québec.

Enfin, un autre critère de l’étude m’a personnellement mis en rogne à l’occasion durant ma carrière, soit le très long délai, pour certaines, entre la fin de l’exercice financier et la publication du rapport annuel. Ainsi, la loi autorise certaines sociétés à prendre jusqu’à six mois pour remettre leur rapport au ministre responsable. Parmi elles, mentionnons Retraite Québec, la SEPAQ, la Société québécoise des infrastructures (SQI) et la Financière agricole.

Comme le ministre doit ensuite déposer ce rapport à l’Assemblée nationale avant qu’il ne soit rendu public, ce qui peut prendre des mois, les journalistes et le public peinent à avoir l’heure juste sur leur situation. En 2017, l’IGOPP avait estimé que pour 20 % des sociétés, il pouvait s’écouler un délai de 200 jours entre la fin de l’exercice et la publication des résultats.

L’ensemble des 24 sociétés engrange des revenus annuels de 53,2 milliards et compte 49 455 employés. Ne serait-il pas opportun de redresser la barre ?