Ce sont les policiers qui ont trouvé dans la rue la pauvre dame atteinte d’une grave maladie mentale. Elle avait été expulsée du logement où elle vivait depuis 10 ans parce qu’elle n’arrivait plus à payer le loyer.

Dépassée par des démarches trop complexes, elle avait perdu les prestations gouvernementales absolument essentielles à sa subsistance. En raison de son état de santé, la dame recevait 1035 $ par mois du programme d’aide de dernier recours dont bénéficient environ 130 000 Québécois qui ne peuvent pas travailler à cause d’un handicap ou d’une maladie.

Trois ans plus tôt, le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale avait exigé que la dame vérifie, comme le veut la loi, son admissibilité à une rente d’invalidité de Retraite Québec qui remplace ou réduit l’aide de dernier recours.

Pour vous et moi, ce genre de démarche n’est pas la fin du monde. Mais pour les personnes vulnérables qui sont justement visées par le programme, ça peut devenir une montagne.

En 2018, le Ministère s’est aperçu que la dame avait droit à une rente d’invalidité de 740 $ par mois. Il savait fort bien qu’elle ne la recevait pas, parce que sa demande restait incomplète. Mais au lieu de l’aider, les fonctionnaires ont bêtement réduit sa prestation de dernier recours à 295 $ par mois, précipitant la dame dans la misère pure.

Il aura fallu qu’une intervenante (bravo, Madame) alerte le Protecteur du citoyen pour que la dame parvienne à remplir sa demande de rente. Désormais, Revenu Québec lui verse 740 $ par mois, auxquels s’ajoute la prestation de dernier recours.

Mais vous imaginez l’enfer que la pauvre dame a vécu ? Ce n’est pas humain d’appliquer les règles de façon aussi froide et rigide, sans égard à la vulnérabilité des gens. Certains sont analphabètes, ne parlent ni français ni anglais, n’ont pas toute leur tête… Il faut en tenir compte.

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Mais trop souvent, ce n’est pas le cas. À cause de la bureaucratie, des milliers de citoyens sont privés de l’argent auquel ils ont droit, comme le dénonce le rapport annuel du Protecteur du citoyen, déposé jeudi dernier.

« Je suis particulièrement préoccupée par l’accès aux services publics pour les personnes plus vulnérables en raison de leur santé, de leur âge, de leur condition sociale et économique ou de leur isolement. Lorsque les règles d’accès sont trop lourdes, elles les privent des services dont elles ont besoin et auxquels elles ont droit », notait la protectrice du citoyen, Marie Rinfret.

Un exemple dramatique ? Plus de 40 000 prestataires de l’aide de dernier recours n’obtiennent pas le crédit d’impôt pour solidarité auquel ils sont pourtant admissibles. Tout ça parce que Revenu Québec exige qu’ils remplissent une déclaration de revenus.

Je vous rappelle qu’il s’agit des personnes les plus défavorisées de la société, de citoyens qui peuvent avoir énormément de mal à comprendre des documents fiscaux. Ces contribuables s’imaginent qu’ils n’ont pas à faire de déclaration, puisqu’ils n’ont pas d’impôts à payer de toute façon. Ils ne réalisent pas qu’ils se privent par le fait même de crédits très payants pour eux.

En 2018, la protectrice du citoyen avait recommandé la mise en place d’un système de versement automatique, comme c’était le cas jusqu’en 2011. Le crédit était remis aux prestataires de l’aide de dernier recours, à même leurs prestations, sans qu’ils aient d’autres démarches à faire.

Malheureusement, le gouvernement a préféré continuer de miser sur d’autres méthodes, comme l’envoi d’une lettre personnalisée deux fois par année aux prestataires qui n’ont pas rempli leur déclaration ou encore l’augmentation du budget du Programme des bénévoles qui aident les personnes moins nanties à remplir leur déclaration de revenus.

Manifestement, ce n’est pas suffisant. En 2018, il y avait encore 40 000 personnes qui ne touchaient pas leur dû. Des personnes qui vivent avec moins que rien et pour qui cette entrée d’argent ferait une énorme différence. Quelle tristesse !

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Cela dit, Ottawa devrait aussi faire son examen de conscience.

Plus de 60 % des 1,8 million de Canadiens atteints d’une incapacité ne reçoivent pas le crédit d’impôt pour personnes handicapées auquel ils sont admissibles, a déjà démontré le Comité sénatorial permanent des affaires sociales.

On parle de gros sous que les handicapés laissent sur la table parce que le processus est trop fastidieux. C’est insensé.

Les familles qui ont des enfants handicapés se privent aussi des avantages exceptionnels du Régime enregistré d’épargne-invalidité (REEI). Au Québec, les trois quarts des personnes admissibles au programme n’ont jamais ouvert de compte, selon Emploi et Développement social Canada.

Pourtant, ce généreux programme fédéral permet aux personnes handicapées d’obtenir des subventions allant jusqu’à 70 000 $ à vie et aussi des bons de 20 000 $ sans même avoir à cotiser. C’est comme de l’argent tombé du ciel. Il ne faut pas le laisser par terre !