Je ne veux surtout pas gâcher la fête, mais permettez que je souligne un paradoxe.

Aujourd’hui, des dizaines de milliers de citoyens défileront dans les rues de Montréal, tous unis autour de la jeune Suédoise Greta Thunberg pour lutter contre les changements climatiques. Chapeau ! Il faut que ça bouge.

Sauf que seulement un très maigre 2 % de la population québécoise est prêt à appuyer une taxe carbone pleinement efficace qui ferait grimper le prix de l’essence de 50 cents le litre, si je me fie à un sondage Léger réalisé l’hiver dernier.

Bien sûr, une taxe n’est jamais populaire. C’est encore plus vrai quand elle touche l’essence, dont les fluctuations du prix à la pompe sont suivies avec une attention passionnée.

Mais si la taxe carbone n’a pas la cote, c’est en bonne partie à cause de l’incompréhension et des faussetés qui circulent à propos de la tarification du carbone, pourtant un enjeu-clé de la campagne électorale fédérale.

Le chef conservateur Andrew Scheer s’est lancé dans la course en jurant d’abolir la taxe carbone mise en place le 1er avril dernier par les libéraux de Justin Trudeau dans les quatre provinces qui ne taxent pas déjà suffisamment la pollution.

Il s’agit du Manitoba, de la Saskatchewan, du Nouveau-Brunswick et de l’Ontario, qui a largué sa propre tarification du carbone après l’élection du conservateur Doug Ford. La taxe fédérale s’appliquera aussi à partir de janvier en Alberta, où le conservateur uni Jason Kenney a aussi été élu en promettant l’abolition de la taxe provinciale que le NPD venait d’implanter.

« D’un point de vue politique, la taxe carbone est très impopulaire, car elle est très visible. Mais justement, on veut que ce soit visible pour que les gens modifient leur comportement », me disait Trevor Tombe, professeur d’économie à l’Université de Calgary, que j’ai rencontré récemment lors d’un reportage en Alberta.

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Mais à combien s’élève la fameuse taxe ?

Actuellement, le tarif fixé par Ottawa est de 20 $ par tonne de carbone, ce qui hausse le prix de l’essence à la pompe d’environ 5 cents. Ce tarif doit grimper de 10 $ par année pour atteindre 50 $ en 2022. Cela reste loin des 200 $ la tonne qui feraient bondir l’essence de 50 cents, un seuil jugé suffisant pour vraiment faire changer le comportement des automobilistes.

Grrrrr, c’est beaucoup d’argent puisé dans les poches des consommateurs, me dites-vous ? Eh bien non ! La taxe carbone ne leur coûtera rien du tout !

Car la taxe carbone n’est pas une taxe. En réalité, c’est une redevance. Il ne s’agit pas juste d’une question de vocabulaire. La différence est fondamentale.

Contrairement à une taxe, une redevance ne gonfle pas les coffres de l’État, car les sommes récoltées sont entièrement retournées aux citoyens ou réinvesties dans le même domaine.

« Le but n’est pas de lever une tonne d’argent. Le but n’est pas de punir les entreprises polluantes ou les gens qui roulent en VUS, mais de les faire changer de comportement », explique Antoine Genest-Grégoire, chercheur associé à la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke, qui a publié, mercredi, une étude traçant les contours de la tarification du carbone au Canada.

Ainsi, Ottawa retournera 90 % de la taxe carbone aux contribuables lorsqu’ils feront leur déclaration de revenus. Le 10 % restant servira à financer des initiatives vertes, comme des rabais pour l’achat d’électroménagers écoénergétiques.

Mais il existe d’autres formules. 

Au lieu d’envoyer des chèques aux ménages, la Colombie-Britannique, qui est une pionnière en matière de tarification du carbone, a préféré utiliser les revenus de sa taxe carbone pour réduire notablement les impôts des particuliers et des entreprises.

Et au Québec ? Chez nous, la tarification du carbone repose sur un système de plafonnement et d’échange des droits d’émission de gaz à effet de serre par le truchement de la bourse du carbone.

L’argent récolté lors des enchères d’unités d’émission de carbone est acheminé au Fonds vert qui a été « vertement » critiqué, notamment par des groupes environnementaux, parce qu’il était incapable de mesurer l’efficacité des initiatives pour lutter contre le réchauffement climatique.

Dommage, dommage…

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En ce sens, la taxe carbone d’Ottawa est certainement la formule de tarification du carbone la plus « conservatrice », car l’argent est pratiquement remis au complet aux consommateurs, sans intervention de l’État.

La taxe fédérale est même plus « conservatrice » que l’ancienne taxe albertaine qui ne retournait que 40 % aux citoyens et réinvestissait 60 % dans des programmes environnementaux.

« La taxe fédérale a un coût inférieur pour les ménages que la taxe provinciale », assure M. Tombe.

Mais cela n’empêche pas les provinces dirigées par des gouvernements conservateurs de mener une croisade contre la taxe fédérale devant les tribunaux et dans l’opinion publique.

Gracieuseté de Doug Ford, les stations-service ontariennes sont maintenant tapissées d’autocollants dénonçant le coût de la taxe carbone. Mais cette initiative déconcertante passe complètement sous silence la redistribution qui fera en sorte que la plupart des contribuables s’enrichiront grâce à la taxe.

Dur à croire ? Il faut comprendre que la consommation de carbone des ménages est très fortement corrélée avec leur niveau de revenus. « Donc, les ménages à plus hauts revenus paieront le plus gros de la tarification du carbone. En prenant la somme totale levée, par exemple en Ontario, et en la divisant par tête de pipe, ça fait en sorte que la plupart des ménages recevront davantage que ce qu’ils auront payé », prédit M. Genest-Grégoire.

Mais Doug Ford préfère montrer un seul côté de la médaille. Il préfère miser sur la désinformation auprès du public pour faire tomber la taxe et hausser son bénéfice politique.