Il n’y a pas que les parents qui devraient surveiller ce que leurs enfants affichent sur les médias sociaux. Les jeunes aussi devraient jeter un coup d’œil sur la panoplie de photos d’eux que leurs parents exhibent fièrement sur leur page Facebook. Si charmantes soient-elles, ces publications peuvent avoir des conséquences graves et sournoises.

La mère d’un jeune de la région de Toronto était loin de se douter qu’elle nuirait à son fils en diffusant ses exploits au football. Commotions cérébrales à répétition, jambe cassée… elle avait même affiché des photos de lui à l’hôpital.

Arrivé dans la vingtaine, « le fils a fait une demande d’assurance vie qui a été refusée, parce qu’on a considéré qu’il représentait un trop grand risque », raconte Josiane Fréchette, avocate et analyste chez Option consommateurs.

Ce n’est que l’un des cas problématiques qui est ressorti des groupes de discussion menés dans le cadre de l’étude Être parent à l’ère numérique, diffusée ce matin. Cette étude lève le voile sur le « sharenting », un phénomène en plein essor qui consiste à partager sur le web une tonne de photos, vidéos et commentaires sur ses enfants.

Même si, officiellement, les enfants ne peuvent pas utiliser les médias sociaux avant 13 ans, cette pratique fait en sorte que 84 % des jeunes ont une empreinte numérique avant 2 ans, et même 37 % avant leur naissance. Mais oui, rappelez-vous cette échographie que vous avez mise en ligne à peine sortie de chez le médecin…

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Les photos ou les informations les plus anodines peuvent avoir des effets insoupçonnés, à commencer par la cyberintimidation dont sont victimes 8 % des adolescents canadiens.

Dans ses groupes de discussion, Option consommateurs a parlé avec un jeune homme dont la mère avait publié une photo de lui déguisé et maquillé en fille, alors qu’il était en bas âge.

« Sa mère trouvait ça très amusant. Elle avait mis ça sur les médias sociaux, puis l’avait complètement oublié », relate Mme Fréchette. Mais lorsque l’ado est arrivé à l’école secondaire, des jeunes qui l’intimidaient ont déterré la fameuse photo. Ils l’ont imprimée et l’ont fait circuler. Bande de petites crapules.

On a tous des photos peu glorieuses de nous dans un vieil album de photos. Mais le nombre de personnes qui y ont accès reste très limité. Avec l’internet, nos albums de photos sont à la merci de tous, y compris des fraudeurs.

Les photos les plus banales peuvent leur servir de munitions. Pensez à ce cliché devant la maison avant de prendre l’autobus scolaire ou à cette photo de votre enfant qui souffle les bougies sur son gâteau d’anniversaire. Il n’en faut pas beaucoup plus pour obtenir le nom, l’adresse et la date de naissance d’un enfant. Ces trois informations sont la clé de voûte du vol d’identité.

Ajoutez à cela les noms de jeune fille de la mère, de l’école primaire ou de l’animal de compagnie, souvent utilisés comme questions de sécurité, et vous comprendrez pourquoi le « sharenting » sera la source des deux tiers de la fraude d’identité chez les jeunes en 2030, selon l’institution financière Barclays.

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Et même si vos enfants ne sont pas victimes de vol d’identité, allez savoir ce que les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) vont concocter avec toutes leurs données. Cela va bien au-delà de la publicité ciblée.

À ce chapitre, je vous encourage à visionner le documentaire The Great Hack sur Netflix, qui explique comment l’analyse des données sur les médias sociaux a permis d’influencer le résultat des dernières élections américaines et du vote sur le Brexit.

Ça donne froid dans le dos ! On touche au cœur de la démocratie.

Tant qu’à avoir peur, parlons aussi de pornographie juvénile. Ces dernières années, des enquêtes australiennes et néerlandaises ont révélé l’existence de sites web pornographiques contenant des dizaines de millions d’images d’enfants provenant de médias sociaux comme Facebook ou Instagram.

Certaines photos présentaient des enfants nus ou partiellement nus, par exemple dans leur bain ou sur le petit pot. D’autres montraient des enfants habillés dans la vie de tous les jours, mais l’ajout d’un commentaire leur donnait un caractère sexuel. Ouache !

Ne croyez pas être à l’abri parce que votre compte est configuré pour limiter l’accès au contenu à vos proches. 

« Les paramètres de sécurité sont un pas dans la bonne direction. Mais ils ne protègent pas contre tous les risques », prévient Mme Fréchette.

Une mère de l’Arizona l’a appris à ses dépens quand la police a retrouvé 83 photos de sa fille de 9 ans qui avaient été diffusées sur un site porno par un de ses proches.

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Dans tout ça, le consentement de l’enfant prend complètement le bord. Pourtant, il faut la permission d’autrui avant de publier sa photo sur les médias sociaux. Mais avant 18 ans, les parents consentent au nom de l’enfant.

Ils ont donc le droit d’étaler la vie de leur progéniture sur le web. Et si l’enfant n’est pas d’accord, maintenant ou plus tard, il aura du mal à effacer l’identité numérique que ses parents lui ont forgée malgré lui.

Il est vrai que certains médias sociaux, comme Facebook, permettent de demander le retrait d’une photo publiée par quelqu’un d’autre, explique Mme Fréchette. De nombreux jeunes lui ont d’ailleurs révélé s’être servis de ce processus entièrement anonyme pour purger le compte de leurs parents qui ne comprenaient pas trop pourquoi les photos avaient disparu.

Mais Option consommateurs estime que le gouvernement devrait revoir ses lois pour accorder un droit à l’oubli, inspiré de celui qui existe en Europe, qui pourrait être exercé avant 18 ans.

L’organisme suggère aussi aux parents d’avoir une bonne discussion avec leur enfant. Autrement, ils pourraient devenir l’arroseur arrosé, comme ce père qui publiait constamment des photos de son fils de 6 ans sur son blogue, alors que le garçon s’y opposait. Un bon jour, le petit futé a utilisé le téléphone de son père pour prendre une photo peu flatteuse de lui et la mettre sur Instagram.

À partir de ce moment-là, le père a commencé à consulter son fils !

Petit guide des parents à l’ère numérique

1. Limitez le nombre de publications sur les médias sociaux au sujet de vos enfants.

2. Prenez un temps de réflexion avant de faire une telle publication.

3. Évitez toute publication contenant des photographies de votre enfant avec de la nudité partielle ou complète.

4. Évitez toute publication dévoilant le nom de votre enfant, sa date de naissance ou son adresse.

5. Mentionnez à vos enfants les renseignements personnels que vous publiez à leur sujet sur les médias sociaux.

6. Si votre enfant vous en fait la demande, retirez le contenu que vous avez publié à son sujet.

7. Lorsque votre enfant a 7 ans ou plus, demandez-lui son consentement avant de publier quelque chose à son sujet.

8. Informez-vous sur les paramètres de confidentialité offerts par les médias sociaux pour protéger les publications que vous mettez en ligne.

Source : Option consommateurs