Alors que Québec est en train de procéder à la réforme tant attendue de l’encadrement des copropriétés, laissez-moi vous raconter une histoire d’horreur qui vous convaincra que son projet de loi 16 ne va pas assez loin.

C’est l’histoire du projet avorté de condos Le Victoire, où 24 acheteurs ont englouti des acomptes de 3,3 millions de dollars au total. En 2013, les plans de l’édifice faisaient rêver. Vingt-cinq étages, cinquante-six logements. Fenestration du plancher au plafond. Cuisine haute technologie. Le grand luxe, quoi.

« Le bureau des ventes montrait la magnificence de l’endroit », se rappelle Jean-Stéphane Rousseau, qui a versé un acompte de près de 132 000 $, représentant environ 15 % de la valeur de son condo.

Du haut de son bureau à la tour de la Bourse, en plein cœur du Vieux-Montréal, il me pointe l’endroit où devait s’élever l’édifice, juste de l’autre côté de la rue Saint-Jacques. Mais tout est tombé à l’eau. Et certains acheteurs ont perdu plus de 270 000 $.

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Pourtant, leurs dépôts avaient été placés en sécurité dans le compte en fidéicommis du notaire du promoteur. Me Stuart Millowitz avait préparé les offres d’achat qui prévoyaient deux conditions avant de remettre l’argent au promoteur.

D’abord, le notaire devait obtenir la confirmation par l’architecte du début de la démolition de l’ancien édifice. Et ensuite, le notaire devait recevoir l’autorisation de débourser les sommes de la part de la Garantie des immeubles résidentiels (GIR) 1.

Or, le programme de la GIR couvrait les acomptes des acheteurs seulement jusqu’à hauteur de 30 000 $. À un acheteur inquiet, la GIR avait expliqué qu’elle donnerait son feu vert au notaire seulement lorsque le financement serait ficelé et que l’immeuble serait terminé à 90 %. Cela l’avait rassuré.

Mais les choses ont pris une autre tournure. 

Finalement, la GIR a permis au notaire de remettre les acomptes au promoteur avant que le financement ne soit bouclé. Et par la suite, la Banque Nationale a retiré son offre de financement parce que le promoteur n’avait pas vendu assez de condos.

Le promoteur n’a donc jamais pu aller de l’avant. Le hic, c’est qu’il avait déjà contracté un prêt temporaire de 6,2 millions pour démarrer le projet. Ce créancier a donc exercé son recours hypothécaire, repris le terrain, et les acheteurs n’ont jamais revu la couleur de leur dépôt, hormis les 30 000 $ protégés par la GIR.

Un beau gâchis !

Les acheteurs dépossédés poursuivent maintenant le notaire et la GIR dans un procès de 10 jours qui se déroule actuellement au palais de justice de Montréal.

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Dans sa défense, la GIR réplique que les « contrats préliminaires ont été négociés et conclus sans l’intervention de la GIR ». En effet, les offres d’achat ont été bouclées avant même que la garantie ne soit officiellement signée. La GIR considère donc qu’elle n’a jamais accepté de jouer un rôle quant à la protection des acomptes, au-delà de sa propre couverture.

De son côté, le notaire explique dans sa défense que les clients étaient des professionnels bien informés, qu’ils ont signé l’offre d’achat en toute connaissance de cause et qu’ils doivent en assumer les conséquences.

La preuve démontre qu’il n’a jamais parlé aux clients. Ce faisant, il ne leur a pas souligné le danger de faire un dépôt, sachant que le financement n’était pas bouclé et qu’un autre créancier aurait préséance sur eux.

N’était-ce pas son rôle de les prévenir ?

Le notaire ne m’a pas rappelée ni n’a répondu à mes courriels. La Chambre des notaires m’a répondu qu’un notaire a le devoir de représenter les deux parties d’une transaction seulement lorsqu’il est dans son rôle d’officier public. Dans le cas présent, le notaire agissait plutôt à titre de conseiller juridique du promoteur, m’a expliqué la porte-parole de la Chambre des notaires, Johanne Dufour.

Malheureusement, cette confusion des rôles mélange le grand public, qui ne devrait pas avoir à jouer au détective pour savoir quel est le statut d’un notaire selon les circonstances.

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Je ne veux surtout pas présumer de l’issue de ce procès complexe. Mais je trouve que cette saga démontre à quel point les acheteurs de condos peuvent être mal protégés. Actuellement, le programme obligatoire de la Garantie de construction résidentielle (GCR) protège les acomptes, mais seulement jusqu’à 50 000 $, alors que les promoteurs exigent souvent des dépôts plus élevés.

De plus, la GCR ne couvre pas les immeubles qui comptent plus de quatre logements superposés et les projets de conversion de bâtiments existants. Autrement dit, pour la tour de condos au centre-ville ou l’église reconvertie en logements, les dépôts ne sont pas protégés du tout. Si le constructeur fait faillite, l’argent disparaît en fumée.

Il existe des programmes facultatifs comme la GIR. Mais on voit bien leur limite.

Le projet de loi 16 déposé par Québec en avril dernier s’attaque à cette grave lacune. Il précise que « tout acompte versé à un constructeur ou à un promoteur en vue de l’achat d’une fraction de copropriété divise doit être protégé par un ou plusieurs des moyens suivants : un plan de garantie, une assurance, un cautionnement ou un dépôt dans un compte en fidéicommis ».

Mais le projet de loi ne précise pas que les dépôts doivent être « entièrement » protégés. 

« Tel que présentement libellé, l’article pourrait être interprété comme ne permettant qu’une protection partielle », met en garde le mémoire de la Chambre des notaires.

De plus, les moyens énumérés pour protéger les dépôts ne mettront pas les acheteurs à l’abri d’un cauchemar.

Une assurance ? Bonne chance pour obtenir la pleine somme sans avoir à vous battre en cour !

Un compte en fidéicommis ? Oui, mais encore faudrait-il que l’argent y reste jusqu’à ce que le client ait les clés de son condo.

Un plan de garantie ? D’accord, mais il faudrait que ce plan soit géré par un organisme entièrement consacré à la protection du public, comme la GCR, et non pas par une association de constructeurs comme la GIR qui est sous la férule de l’APCHQ.

1 Cette deuxième condition a été retirée de certains contrats.