Le gouvernement du Québec a justifié son intervention dans le dézonage d’un terrain agricole en Montérégie par les bons emplois que le projet industriel créera à Beauharnois.

« On espère être capables de conclure un investissement important et une création de beaucoup d’emplois bien payés, donc on veut se donner la marge de manœuvre pour être capables éventuellement de le faire », a dit le premier ministre du Québec, François Legault, pour justifier l’intervention de son gouvernement.

« Évidemment, on le ferait aussi en s’assurant d’avoir une acceptabilité sociale. On sait que, dans ce coin-là, le taux de chômage est un peu plus élevé, donc on se laisse les portes ouvertes. »

De son côté, le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, André Lamontagne, justifie la décision du gouvernement de contourner la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) en vue de permettre un important projet industriel à Beauharnois.

L’organisme qui relève de son autorité avait donné un avis préliminaire défavorable à la demande de la ville de dézoner un territoire agricole appartenant à Hydro-Québec le 6 décembre dernier. La fédération de la Montérégie de l’Union des producteurs agricoles (UPA) s’était opposée à ce dézonage.

L’utilisateur final du terrain serait Google – ce que M. Lamontagne n’a pas voulu confirmer. Le géant américain y installerait de puissants serveurs informatiques.

Le gouvernement Legault a dessaisi la CPTAQ du dossier, tentant ainsi d’éviter un avis définitif défavorable de l’organisme. Il décidera donc lui-même de dézoner ou non. Il a invoqué l’article 96 de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, qui lui permet d’agir ainsi. Or le recours à une telle mesure pour un projet privé est très rare : c’est arrivé à peine cinq fois depuis l’adoption de la loi en 1978.

« L’article 96 […] permet au gouvernement de soustraire certains dossiers à la compétence de la Commission », a soutenu André Lamontagne lors d’une mêlée de presse au parlement hier.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

André Lamontagne, ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation

Je peux vous dire que la décision a été prise dans un contexte où c’est un terrain qui a un fort potentiel stratégique en termes de développement économique et en termes, aussi, de création de richesse.

André Lamontagne, ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation

Stratégie clés en main

Selon les données d’Hydro-Québec, le Québec héberge 49 centres de données sur son territoire, une clientèle énergivore recherchée par l’entreprise, qui a d’importants surplus d’électricité à vendre. 

La société d’État, qui poursuit une stratégie clés en main pour attirer des centres de données, a indiqué à La Presse ne plus avoir de terrains excédentaires capables d’accueillir un centre de données de grande envergure, après celui de Beauharnois situé en zone agricole.

« S’il devait arriver qu’un projet [aille] de l’avant, a ajouté le ministre Lamontagne, je peux vous dire que toutes les actions et les mesures vont être mises en place pour faire en sorte de compenser ou mitiger quelque impact que cette décision pourrait avoir sur l’intégrité du territoire agricole au Québec. »

Ce compromis saura-t-il satisfaire le lobby agricole ? « Concernant le projet à Beauharnois, le gouvernement doit absolument laisser la Commission faire une analyse et émettre ses recommandations avant de prendre une décision », a averti Marcel Groleau, président de l’UPA, joint hier. « C’est le minimum dans les circonstances. »

Quant à l’aile parlementaire du Parti québécois, elle invite le gouvernement à protéger les terres agricoles. 

« Nous faisons face à une situation où le gouvernement se transforme en réel Google Home et acquiesce sans dire un mot à une multinationale », a dit Sylvain Roy, porte-parole du Parti québécois en matière d’agriculture.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Sylvain Roy, porte-parole du Parti québécois en matière d’agriculture

Google n’a eu qu’à dire : “O.K., gouvernement : je veux ce terrain”, et Québec obtempère.

Sylvain Roy, député du Parti québécois

« Il y a certainement d’autres terrains disponibles et bien situés pour répondre aux exigences de l’entreprise, poursuit Sylvain Roy, mais le choix du gouvernement de la CAQ est de détruire des terres agricoles pour les besoins d’une entreprise qui ne paie même pas d’impôts au Québec.

« Le gouvernement doit reculer et faire respecter nos lois, protéger notre agriculture, mais surtout nos agriculteurs. »

— Avec la collaboration de Jean-François Codère, La Presse