Des infrastructures de qualité. Des prix concurrentiels. Et, bien sûr, zéro corruption.

Voilà les trois objectifs que doivent viser les gouvernements pour nos infrastructures publiques. Pour nos routes, nos ponts, nos écoles, nos hôpitaux, nos bibliothèques et tout le reste.

Surtout dans le contexte où, selon une récente étude, nos infrastructures publiques souffrent d’un déficit d’entretien de 25 milliards, ainsi que je l’écrivais dans une récente chronique.

Dans le contexte aussi où, pour une rare fois dans l’histoire du Québec, le gouvernement a d’abondants surplus budgétaires, de sorte qu’il a les moyens de miser sur la qualité plutôt que sur les bas prix. L’occasion est rêvée, sachant que la qualité, bien souvent, réduit les coûts à long terme.

Or voilà, se fixer cet objectif n’est pas gagné d’avance. Le 27 juin 2018, le précédent gouvernement libéral avait proposé un règlement pour changer la façon de choisir les firmes d’ingénieurs et d’architectes pour ses projets, eux qui sont les premiers remparts de la qualité.

Mais le gouvernement a fait volte-face le 15 août après de nombreuses critiques de l’industrie, et un comité de travail multipartite a été formé pour analyser la question. Ce comité s’est réuni à six reprises (même après l’élection de la CAQ) et il se réunira encore le 28 août prochain.

Pour mettre la table, des associations d’ingénieurs et d’architectes(1) ont commandé une étude à la firme MCE Conseils afin de vérifier l’impact de diverses méthodes d’appel d’offres sur l’aspect qualité-prix des soumissions choisies. Le système actuel favorise-t-il la qualité ? Et faut-il mettre plus l’accent sur la qualité pour certains projets ?

Trois formules ont été analysées, soit les formules existantes au municipal et au fédéral et la nouvelle formule qui était proposée par le gouvernement du Québec, baptisée formule K. Les résultats, obtenus après analyse de 714 soumissions pour 137 appels d’offres, sont éloquents.

Dans le monde municipal, les firmes de génie ou d’architectes qui sont choisies sont encore celles qui offrent la plus basse soumission dans quatre cas sur cinq, note l’étude. Ce constat demeure, même si la loi pour les appels d’offres municipaux a changé en 2017 sous l’effet de la commission Charbonneau, et qu’un critère de qualité a été introduit dans la formule complexe utilisée pour trancher. « Au final, la pondération du facteur qualité est trop faible pour avoir un impact réel », conclut l’étude.

Au provincial, la nouvelle formule K qui était proposée, et qui fait varier l’importance de la qualité selon la nature des projets, aurait eu des effets semblables. MCE a appliqué cette formule sur les mêmes 137 appels d’offres. Résultat : trois fois sur quatre, la prise en compte d’un critère de qualité, à divers degrés, ne fait aucune différence dans le choix du soumissionnaire. Bref, c’est le plus bas prix qui gagne.

Quand tu sais que c’est le prix qui prime avant tout, ça engendre des comportements néfastes pour les soumissionnaires.

Marc Couture, président, division infrastructures et bâtiments, de Tetra Tech QI

« On aimerait que ce soit le deuxième ou troisième plus bas soumissionnaire qui gagne, souvent, et que la qualité prenne plus d’importance », ajoute Marc Couture, l’un des membres du comité de travail qui se réunira en août.

Les professionnels font leurs soumissions en fonction du nombre d’heures qu’ils consacreront à préparer les paramètres d’un projet, essentiellement. « Pouvons-nous avoir du temps pour faire une vraie job ? Au bout du compte, nos honoraires ne représentent que 1 à 2 % du coût total d’un projet, mais un travail bâclé faute de temps peut faire augmenter la facture du projet de 10 % à long terme, ou plus. Pensez à l’ancien pont Champlain, par exemple », dit M. Couture.

MCE a aussi analysé les 714 soumissions en appliquant la formule fédérale, dont le choix est fonction de la qualité dans une proportion de 90 %. Et dans ce cas, la firme qui offre la meilleure qualité est choisie trois fois sur cinq.

Au gouvernement du Québec, c’est le ministère des Transports et la Société québécoise des infrastructures (SQI) qui accordent le plus de contrats. Actuellement, ils choisissent les firmes externes d’architecture et de génie en fonction d’un critère de qualité, mais ce critère est uniforme pour tous les projets, peu importent leur nature et leur complexité, qu’il s’agisse d’une centrale nucléaire ou d’un projet d’épandage d’asphalte. Les honoraires sont fixés par un vieux décret du gouvernement.

Les deux associations d’ingénieurs et d’architectes(1) jugent que la formule actuelle du décret demeure préférable à l’éventuelle formule K, puisque cette dernière formule favorise encore trop fortement les bas prix, selon l’étude de MCE.

Le gouvernement aurait proposé la formule K pour rendre son système conforme aux recommandations de la commission Charbonneau. De leur côté, les représentants des ingénieurs et architectes disent que s’il y a une formule à changer, c’est surtout celle du plus bas soumissionnaire qui touche les entrepreneurs en construction, non la formule pour les professionnels.

J’ai tenté d’avoir le son de cloche du Conseil du trésor du gouvernement du Québec et de la SQI, mais sans succès. Chose certaine, un nouveau règlement doit impérativement aider le Québec à concevoir des infrastructures de meilleure qualité, à un prix équitable.

(1) L’Association des architectes en pratique privée du Québec et l’Association des firmes de génie-conseil – Québec