Dans la lutte globale contre les changements climatiques et la course à la réduction des gaz à effet de serre, on en est maintenant rendu à s’attaquer à l’empreinte des matériaux, un défi que les deux principaux producteurs d’aluminium nord-américains Alcoa et Rio Tinto Aluminium ont décidé de relever grâce à une technologie de rupture qu’ils ont entrepris de développer au Québec.

Les deux producteurs d’aluminium ont annoncé l’an dernier la création d’une coentreprise nommée Elysis dont le mandat était de développer un nouveau procédé révolutionnaire d’électrolyse de l’aluminium qui doit éliminer totalement les émissions de CO2.

Alcoa et Rio Tinto se sont engagés à investir 55 millions dans Elysis, alors que les gouvernements de Québec et d’Ottawa ont injecté chacun 60 millions dans l’entreprise, sous forme de prêts remboursables sur redevances, et la société Apple a aussi investi 13 millions dans le projet en raison de son engagement à rendre carboneutre sa chaîne d’approvisionnement.

Or, le projet avance à bonne cadence. La semaine dernière, Elysis a ouvert son siège social au centre-ville de Montréal et inaugurera dans les prochains mois son centre de recherche et développement à Jonquière, dans le complexe de Rio Tinto.

« C’est là qu’on va fabriquer les premières cuves qui vont servir au nouveau procédé d’électrolyse que l’on prévoit commencer à commercialiser en 2024 », m’explique Vincent Christ, le PDG de la coentreprise.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Vincent Christ, PDG d’Elysis

Alcoa et Rio Tinto ont accepté de remettre à Elysis tous les brevets des travaux qu’ils ont réalisés depuis des dizaines d’années sur le développement d’une anode inerte qui élimine totalement le carbone.

Vincent Christ, PDG d’Elysis

Depuis trois ans maintenant, Vincent Christ coordonne les équipes de scientifiques et de chercheurs d’Alcoa à Pittsburgh et de Rio Tinto à Grenoble en vue du lancement d’Elysis. Au total, plus de 80 chercheurs participent à la mise au point de ce nouveau procédé d’électrolyse qui verra le jour à Jonquière.

« Depuis les débuts de l’aluminium, il y a 120 ans, on cherche à éliminer le carbone du processus d’électrolyse. C’est Alcoa qui a inventé le cœur du procédé et ce sont les chercheurs de Rio Tinto de Grenoble qui font la conception de la technologie industrielle », précise Vincent Christ, qui a quitté ses fonctions de chef des technologies et de recherche et développement de Rio Tinto Aluminium pour prendre la direction d’Elysis.

Une révolution provoquée

Il peut sembler étonnant que deux concurrents décident ainsi de mettre de côté leurs différends historiques (Alcoa avait tenté d’acheter Alcan avant que Rio Tinto ne mette la main sur l’entreprise montréalaise) pour partager des secrets industriels aussi précieux.

« C’est vraiment Apple qui a joué les entremetteurs et qui a eu des discussions avec les deux groupes. Apple a transformé toutes ses installations pour qu’elles consomment seulement des énergies renouvelables et elle veut maintenant que ses fournisseurs participent à cet effort d’écoresponsabilité », souligne Vincent Christ.

Au Québec, la fabrication d’une tonne d’aluminium produit deux tonnes de gaz à effet de serre, mais ici, les alumineries consomment de l’hydroélectricité.

Là où on utilise de l’électricité produite par des centrales au gaz, c’est cinq à six tonnes de CO2 par tonne d’aluminium, et en Chine, où on utilise des centrales au charbon, ce sont de 15 à 16 tonnes de CO2 qui sont émises par tonne d’aluminium.

Le remplacement des anodes au carbone par le nouveau procédé d’électrolyse avec anode inerte d’Elysis va s’étaler sur de nombreuses années.

On va vendre nos licences là où on construit de nouvelles alumineries ainsi que dans les usines qui seront rénovées.

Vincent Christ

« Si toutes les alumineries québécoises utilisaient notre technologie, on réduirait de 20 % toute la production industrielle de gaz à effet de serre », expose Vincent Christ.

Le nouveau procédé a aussi l’avantage de réduire de beaucoup les coûts de production des alumineries tout en leur assurant des gains importants de productivité.

Il faut savoir qu’une aluminerie peut être équipée de 300 à 500 cuves d’électrolyse. Chacune des cuves est équipée d’une quarantaine d’anodes en carbone qu’il faut remplacer tous les 25 jours. Cette maintenance coûteuse sera éliminée, tout comme les fours à anodes de carbone qui coûtent 100 millions et qui doivent être remplacés tous les 20 ans.

Le nouveau procédé d’électrolyse que l’on développera à Jonquière produira quant à lui de l’oxygène plutôt que du gaz carbonique, ce qui fait toute une différence.

PHOTO FOURNIE PAR ELYSYS, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Alcoa et Rio Tinto Aluminium ont annoncé l’an dernier la création d’une coentreprise nommée Elysis dont le mandat était de développer un nouveau procédé révolutionnaire d’électrolyse de l’aluminium qui doit éliminer totalement les émissions de CO2.

Le premier marché que souhaite développer Elysis est celui des alumineries alimentées en hydroélectricité en Norvège, en Islande et même au Mozambique, puis ce sera celles qui produisent au gaz naturel.

L’entreprise pourrait même frapper un grand coup puisqu’un de ses clients potentiels, situé dans un désert du Moyen-Orient, songe à remplacer le gaz naturel comme source d’énergie par d’immenses panneaux solaires.

Ce sera presque de la photosynthèse. Le soleil va permettre de produire de l’aluminium qui va dégager de l’oxygène dans l’atmosphère. Ce qui est quand même incroyable.

La transformation que veut induire Elysis ne se fera pas instantanément, mais il sera bientôt possible de produire de l’aluminium sans qu’aucune émission de gaz à effet de serre résulte du processus d’électrolyse. Qui sait, dans 50 ans, ce sera peut-être la nouvelle norme.