Alors que je cherchais des noms d’entreprises qui ont décidé de ne plus faire affaire avec l’économie du « blocage de la frontière aux immigrants », donc des sociétés qui ne veulent plus soutenir commercialement ou financièrement, directement ou indirectement, les horribles centres de détention signés Trump mais confiés en sous-traitance, je suis tombée sur une citation frappante dans un article de CNN.

Un commentaire fait par une entreprise qui, apparemment, n’a pas eu la note au sujet des conditions abominables dans lesquelles les gens sont enfermés à la frontière, notamment les enfants séparés de leurs parents. Et pas eu la note non plus, semble-t-il, au sujet de l’importance, pour l’image de marque, d’avoir au moins l’air un peu attristée par cette réalité.

« Nous pensons qu’il serait extrêmement difficile de gérer nos fonds efficacement en cherchant en même temps à faire face aux nombreuses inquiétudes sociales, politiques et environnementales de nos 20 millions de clients et de la communauté en général. »

Ce n’est pas n’importe qui qui a dit ça. C’est Vanguard, une des plus grandes entreprises mondiales sur le marché des fonds d’investissement, appelée par CNN à commenter ses liens d’affaires avec les prisons privées à la frontière.

Donc, nous explique le géant, s’il faut commencer à s’inquiéter des problèmes de l’humanité, on ne pourra pas bien gérer nos trucs, pas faire plein d’argent. 

Ouf.

On se doutait bien qu’il y avait des investisseurs encore allergiques à l’idée de faire passer le bien et l’avenir avant les profits. Mais là, j’avoue que ça a autant le mérite d’être clair que l’odieux d’être inhumain.

Heureusement, tous les gens ne pensent pas comme ça.

Depuis quelques jours, plusieurs entreprises ont en effet laissé savoir qu’elles ne feraient plus affaire avec les sociétés profitant des politiques de Trump aux frontières, en commençant par la Bank of America, la dernière en liste, après JPMorgan Chase et Wells Fargo, qui ont aussi coupé leurs liens avec les prisons privées chargées par l’administration actuelle de retenir les migrants à la frontière.

Cette semaine, les employés de la société de vente de meubles et d’objets de maison en ligne Wayfair ont aussi signifié leur désaccord avec la décision de leur entreprise de vendre des matelas à une des sociétés qui gèrent les fameux centres, en débrayant en plein milieu de leur quart de travail.

On n’est pas les seuls à être horrifiés par la situation à la frontière.

La grogne est bien présente au cœur du monde des affaires.

Et elle l’est aux États-Unis depuis l’élection de Trump.

Déjà, l’an dernier, des employés de Microsoft avaient demandé à leurs patrons de ne plus faire affaire avec les autorités américaines en matière de surveillance de frontières et d’immigration.

Dès 2016, des campagnes de boycottage en tous genres sont apparues sur les réseaux sociaux, pour punir, par l’entremise de l’argent et des affaires, ceux qui appuient non seulement le président, mais aussi ses politiques. (Vous vous rappelez les campagnes de boycottage des détaillants qui vendaient des vêtements et chaussures Ivanka Trump ?)

Mais les derniers développements sur le front sud ont propulsé la révolte plus loin.

Maintenant, toutes les entreprises devraient commencer à faire attention à ce qu’elles font.

***

Quand j’ai parlé de la fameuse phrase de Vanguard mentionnée plus haut à une amie qui travaille dans le monde de la finance, elle a été surprise. « C’est très à contre-courant de dire ça. Actuellement, tout le monde ne parle que d’ESG : environnement, social, gouvernance. »

Et effectivement, le sigle est partout sur les sites des grandes entreprises en finance.

Pourquoi ?

Parce que agir de façon irresponsable, autant du point de vue environnemental que social ou par rapport à sa propre gouvernance, met toute entreprise à risque.

Non seulement c’est juste mieux dans le sens moral de penser à ces facteurs, mais c’est aussi une bien meilleure décision d’affaires.

On s’entend, quand le monde de la finance commence à s’intéresser aux trois axes ESG, ce n’est pas nécessairement, peut-être même pas du tout, parce que les gestionnaires de fonds et les investisseurs ont été convaincus par leurs enfants milléniaux de l’importance de protéger l’environnement ou de respecter les droits des travailleurs.

C’est parce que le risque de mauvaise publicité, d’atteinte à l’image de la marque, de désengagement des employés, voire de boycottage des consommateurs ou des « talents », ne fait rien de bon pour une entreprise et son bilan comptable. Ça peut finir par coûter très cher.

En cette époque où il faut trois minutes pour lancer une campagne sur les réseaux sociaux avec un # (mot-clic) bien senti, personne ne peut se permettre de faire un faux pas.

Parfois, les sujets ne font pas l’unanimité.

Mais là, les images et les récits des camps à la frontière, avec en prime cette photo terrible du père mort noyé avec sa petite fille parce qu’il voulait aller travailler en Amérique, sont en train de créer une onde massive.

La gestion éthique n’aura jamais été aussi importante. Et profitable.