Après cinq ans d’efforts, de multiples perquisitions, filatures et interrogatoires, et un an jour pour jour après qu’un juge a critiqué son « laxisme » et son « manque de rigueur », l’Autorité des marchés financiers (AMF) abandonne sa dernière enquête dans l’affaire Amaya. Ces enquêtes concernaient de possibles délits d’initiés liés à l’entrepreneur montréalais et ex-PDG d’Amaya, David Baazov.

Amaya (devenue Groupe Stars) avait frappé un grand coup en 2014 en achetant le site PokerStars au prix de 5 milliards US. Le titre de l’entreprise avait grimpé considérablement. Des soupçons de délit d’initié avaient amené l’AMF à piloter trois enquêtes parallèles dans ce qui devenu l’un des plus gros dossiers du genre dans l’histoire du pays.

La principale enquête, baptisée Audace, avait débouché sur des accusations de tuyautage, de complot et de manipulation de titres contre trois individus, dont le fondateur d’Amaya, David Baazov. Cette enquête s’est terminée par un procès avorté, le 6 juin 2018.

Le juge Salvatore Mascia, de la Cour du Québec, avait vivement critiqué la gestion de la preuve en décrétant l’arrêt du processus judiciaire.

Le magistrat avait parlé d’« erreurs de routine », de « laxisme » et d’un « manque évident de rigueur » de la part de l’AMF.

Peu de temps après, l’AMF décidait de clore une seconde enquête, surnommée Cordon, qui portait sur de possibles délits d’initiés concernant le titre d’Amaya. Il était notamment question de tuyautage par David Baazov et de manipulation de marché impliquant un homme d’affaires de L’Île-Bizard.

Une douzaine d’individus ciblés

La décision de l’AMF d’abandonner sa troisième enquête, appelée Bronze, a été communiquée hier aux avocats concernés. Dans le cadre de cette enquête, l’AMF a exécuté des mandats de perquisition et obtenu des ordonnances de blocage pour tenter de mettre fin aux activités d’une douzaine d’individus, dont l’un des frères de David Baazov. L’AMF prétendait que ces gens avaient négocié différents titres (Bwin, Intertain, WMS, etc.) entre 2011 et 2016 alors qu’ils disposaient d’informations privilégiées dont la source principale était David Baazov.

« À la lumière de ce qui était devant nous, il n’était pas avantageux ou nécessaire d’intenter des poursuites. Donc, le dossier se ferme. » — Sylvain Théberge, porte-parole de l’AMF

« David Baazov se réjouit de cette décision », a simplement indiqué son porte-parole, Adam Sharon.

Les leçons de l’échec

La décision de l’AMF de ne pas intenter d’autres poursuites a été prise en considérant notamment le jugement qui a fait avorter le procès de David Baazov l’an dernier.

L’organisme admet avoir tiré des leçons de l’échec de ce dossier.

« On a pris très bonne note des propos du juge et ces éléments ont apporté une réflexion et des modifications en conséquence. On a posé les gestes nécessaires », fait savoir le porte-parole Sylvain Théberge, sans vouloir en dire davantage. « Il s’agit d’éléments confidentiels. »

Sylvain Théberge affirme que l’AMF n’a pas à rougir de son bilan en matière d’application des lois.

« Nous marchons la tête très haute. On demeure le régulateur qui intente le plus de poursuites pénales parmi tous les régulateurs canadiens. » — Sylvain Théberge

Le crime de délit d’initié est probablement le crime à caractère financier le plus difficile à prouver en cour, ajoute-t-il. « Le passé démontre qu’on a eu aussi de nombreux succès en cette matière », dit-il néanmoins.

Il cite notamment le cas d’un ex-employé du cabinet Ogilvy Renault, Dominic Côté, en 2010, qui a consenti à payer des amendes totalisant 1,3 million, et celui de l’ex-employée de BCE Renée Morier, qui a écopé d’amendes en 2017 pour des délits liés à des acquisitions par Bell Canada.

Contre-attaques

L’abandon des enquêtes liées à l’affaire Amaya ne signifie pas pour autant la fin complète de ce dossier pour l’AMF. Plusieurs poursuites ont été lancées contre le gendarme boursier. David Baazov reproche à l’AMF d’avoir déposé des accusations « volontairement abusives et malicieuses » à son endroit et lui réclame 2 millions. L’homme d’affaires de L’Île-Bizard visé par une des enquêtes a lui aussi récemment intenté une poursuite contre l’AMF.

L’an dernier, les membres d’une famille de l’arrondissement de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce avaient déposé une poursuite contre l’AMF liée à une perquisition effectuée dans le cadre de l’affaire Amaya qui les aurait traumatisés.

Des années de démêlés judiciaires

Juin 2014 : Amaya annonce l’acquisition de PokerStars au prix de 5 milliards US.

Décembre 2014 : l’Autorité des marchés financiers (AMF) effectue des perquisitions dans les bureaux d’Amaya à Pointe-Claire.

Février 2016 : David Baazov fait part de son intention de racheter Amaya.

Mars 2016 : l’AMF dépose des accusations de délit d’initié contre David Baazov et deux de ses collaborateurs, Benjamin Ahdoot et Yoel Altman.

Août 2017 : Amaya change son nom pour Groupe Stars et déplace son siège social de Pointe-Claire à Toronto.

Avril 2018 : après plusieurs reports, le procès pour délit d’initié débute.

Juin 2018 : le procès avorte après qu’un juge a décrété l’arrêt du processus judiciaire.

Juillet 2018 : l’AMF met fin à l’une de ses deux autres enquêtes liées à l’affaire Amaya.

Juin 2019 : l’AMF clôt sa troisième et dernière enquête liée à cette affaire.