Vincent Chiara et son Groupe Mach ont été les premiers à prendre contact avec Transat en vue d’une acquisition et n’ont pas l’intention de lâcher le morceau. Le promoteur immobilier a déposé hier une offre de 14 $ par action, qui surpasse d’environ 40 millions celle faite par Air Canada il y a 20 jours.

« Ceux qui ont parti le bal, c’est nous », rappelle d’emblée M. Chiara.

Alors que les marchés semblaient résignés à voir Transat passer sous le contrôle d’Air Canada, le combatif promoteur immobilier lance une deuxième salve.

« Nous avons déposé une offre non sollicitée à Transat en janvier. Il semblerait qu’elle les aurait pris par surprise. Ils n’étaient pas en mode vente. Ç’a été laborieux de les emmener à la table de négociations, mais on a réussi à le faire. »

Le 30 avril, à l’occasion de son assemblée des actionnaires, Transat annonçait être « en discussions préliminaires avec plus d’une partie concernant une transaction potentielle visant l’acquisition de la Société ». Deux semaines plus tard, le 16 mai, Air Canada et Transat signaient une entente accordant à la première une période de négociations exclusive de 30 jours en vue d’une transaction à un prix de 13 $ par action de Transat.

« Nous voyons une synergie importante entre les activités de Transat et leur plan d’affaires de bâtir un portefeuille d’hôtels, qui est un peu ce que l’on voulait ajouter à notre portefeuille. » — Vincent Chiara

Les activités de Transat se découpent en trois volets – transporteur aérien, grossiste en voyages et, dans le futur, hôtelier –, et les deux premiers subissent « beaucoup de pressions sur leurs marges ».

« Ils ont réalisé que les hôteliers faisaient de l’argent avec leur produit, explique-t-il. Transat a la capacité de remplir de 20 000 à 30 000 chambres par jour, et ils assument le risque de l’hôtelier, parce qu’ils sont engagés pour bloquer des chambres. Si Transat ne vend pas les chambres, elle finit par les payer. Donc, ils prennent le risque de l’hôtelier, mais ils ne font pas le profit du côté hôtelier. »

Mieux qu’Air Canada

D’où la volonté, déjà énoncée et mise en branle par la direction actuelle, de bâtir ses propres hôtels. Groupe Mach croit pouvoir mettre à profit ses capacités de financement et son expertise en construction et en gestion d’hôtels pour engendrer des synergies. L’entreprise gère actuellement un hôtel, Le St-James, à Montréal.

Selon M. Chiara, ces synergies sont plus importantes que celles que pourrait générer Air Canada, qui se concentrerait uniquement sur le transport aérien.

« C’est sûr qu’Air Canada n’a pas l’intention de développer des hôtels », rappelle-t-il.

Est-ce qu’une transaction par laquelle Air Canada mettrait la main sur les activités aériennes et Mach, le grossiste en voyages serait intéressante ?

« On n’est pas fermés à l’idée, dit M. Chiara. Actuellement, Transat est un tout. La partie aviation est importante, parce qu’il faut emmener les passagers à destination. »

« Est-ce que c’est impossible de faire une entente avec une compagnie aérienne et de s’entendre à moyen ou à long terme pour opérer cette partie-là de la business ? Non, ce n’est pas impossible. » — Vincent Chiara

Plus que l’argent

Même si Air Canada devait égaler son offre ou renchérir, le conseil d’administration de Transat devrait considérer d’autres critères que la somme versée, croit-il.

« Selon nous, l’obligation de fiduciaire est de veiller aux intérêts de la société, plutôt qu’à seulement ceux des actionnaires. La Cour suprême a été claire là-dessus. »

S’il veut discuter immédiatement avec Groupe Mach, le conseil d’administration de Transat devra verser une pénalité de 15 millions à Air Canada, comme prévu à l’entente d’exclusivité du 16 mai. Dans un communiqué diffusé hier après-midi, Transat a rappelé l’existence de cette période d’exclusivité et refusé de se prononcer sur l’offre de Groupe Mach.

Mais ce n’est pas la seule voie de sortie, fait valoir M. Chiara. L’entreprise pourrait attendre la fin de la période d’exclusivité, sans signer d’entente définitive.

« À mon avis, ça va être difficile pour [Transat] de négocier de bonne foi [avec Air Canada] en sachant qu’il y a une offre qui a plus de chances de réussir que celle qu’ils sont en train de négocier, d’autant plus qu’elle est supérieure. » — Vincent Chiara

« Est-ce que les intérêts de la société sont bien servis ? La réponse est oui. Est-ce qu’on a plus d’argent pour nos actionnaires, la réponse est oui, et est-ce que l’exécution de la vente est plus assurée ? La réponse est oui. […]

« Je vois difficilement comment ils vont pouvoir justifier aux marchés qu’ils vont signer une entente définitive avec Air Canada alors qu’ils ont en main une offre qui remplit tous les critères », fait-il valoir, en rappelant qu’une transaction avec Air Canada serait plus susceptible d’attirer l’œil du Bureau de la concurrence du Canada.

Modération à Québec

Dans le communiqué annonçant son offre, Groupe Mach pose comme condition l’obtention d’une « aide financière » de 120 millions de Québec. Cette aide, précise M. Chiara, pourrait prendre la forme d’un prêt, d’un investissement en capital ou d’un mélange des deux.

« Le gouvernement a montré une ouverture. Je pense que notre offre est vue d’un bon œil. »

Le premier ministre du Québec, François Legault, a toutefois rappelé hier qu’il n’était pas « nécessaire » pour son gouvernement d’aider un groupe québécois. « On doit être prudent », a déclaré M. Legault, hier.

« On avait dit qu’on craignait au début qu’il y ait une offre qui vienne de l’extérieur du Québec. On était alors prêt à aider un groupe québécois à mettre en place une offre. Maintenant, on a deux groupes québécois. Je ne pense pas que le gouvernement doit nécessairement s’[y] intéresser. » — François Legault

Le plus grand transporteur aérien au pays a répliqué à l’offre de Groupe Mach dans un communiqué, hier, en insistant sur le fait que son offre ne dépendait pas de la volonté de Québec.

« L’acquisition par Air Canada entraînera une création d’emplois et une croissance économique au Québec, compte tenu des occasions d’affaires liées au voyage et au tourisme, peut-on y lire. De plus, Air Canada dispose de tous les fonds nécessaires pour réaliser la transaction. Par conséquent, elle n’est assujettie à aucune condition de financement et n’a pas besoin de l’aide du gouvernement ou des contribuables. »

Une autre condition énoncée dans le communiqué de Groupe Mach est « la signature d’une convention de soutien et de dépôt d’actions entre Mach et le Fonds de solidarité FTQ et la Caisse de dépôt et placement du Québec ». Or, selon M. Chiara, il s’agit d’une offre, plutôt que d’une condition.

« On leur donne l’option de rouler leurs actions dans la nouvelle société privée ; ce n’est pas une obligation. On est ouverts à les racheter, mais on reconnaît qu’ils sont déjà actionnaires et qu’ils pourraient avoir un intérêt à rester. »

Marchés mitigés

L’avenir de Transat divise maintenant les analystes. Selon Benoit Poirier, de Desjardins, « Air Canada pourrait ultimement offrir un meilleur prix pour Transat, compte tenu de la forte logique derrière la transaction et des potentiels de synergies de coûts avec ses activités. »

À l’opposé, Satti Nauman, de la Laurentienne, favorise Groupe Mach.

« L’offre [de Groupe Mach] semble être une solution locale qui conserverait le siège social de Transat au Québec, possiblement sans mises à pied. » — Satti Nauman, analyste

« Qui plus est, l’offre de Mach est moins susceptible d’être remise en question par le Bureau de la concurrence que celle d’Air Canada. Même si la stratégie post-acquisition diffère, cela ne devrait pas avoir d’impact pour les actionnaires actuels, et nous voyons cette offre de façon favorable, compte tenu de la somme offerte, du risque réglementaire inférieur et de l’appui de la province. »

Les négociations sur le titre de Transat ont été suspendues pendant toute la journée d’hier, à la Bourse de Toronto.

— Avec la collaboration d’Hugo Pilon-Larose, La Presse

La transaction en bref

Le prix

14 $ par action, soit environ 560 millions

Groupe Mach l’évalue à « plus d’un milliard de dollars », en tenant compte des obligations liées aux baux des avions, qui peuvent être considérés comme des dettes. L’entreprise serait retirée des marchés boursiers et deviendrait privée.

Les conditions de vente

– Transat doit d’abord renoncer à signer une entente définitive avec Air Canada.

– Groupe Mach doit obtenir de Québec une aide de 120 millions, sous la forme de prêt, de capital-actions ou d’un mélange des deux.

– L’acheteur offre à la Caisse de dépôt et au Fonds de solidarité FTQ de conserver leurs actions dans la nouvelle Transat, mais est aussi disposé à les racheter.

Un partenaire

Dès la clôture de la transaction, le groupe espagnol TM Grupo Inmobiliario, que Mach décrit comme « le plus important promoteur immobilier résidentiel et touristique en Espagne et le fournisseur hôtelier préféré de Transat au Mexique », verserait 15 millions de dollars à Transat et lui transférerait les trois hôtels qu’il dirige déjà au Mexique, en échange de 25 % des actions.