Je m’en souviens comme si c’était hier. C’était en 2005, à Chicago, dans un congrès appelé « All Things Organic », un grand événement qui, à l’époque, réunissait pas mal tous les acteurs importants de l’industrie du biologique.

Un homme s’était lancé dans une grande tirade, un gars pilotant des équipes de certification biologique, énervé qu’on critique « l’industrialisation » du bio et des phénomènes comme l’arrivée du bio chez Walmart ou Costco, ou encore l’achat de petits transformateurs bio par les géants comme Danone, Nestlé, Kraft ou General Mills.

« Un Twinkie biologique ? Il n’y a rien de mal à ça », avait-il lancé, faisant référence aux gâteaux fourrés à la crème, totalement industriels et totalement iconiques de l’Amérique moyenne. (Au Québec, il aurait probablement parlé de Joe Louis ou de Whippet.) 

« Un jour, il pourrait même y avoir du gin et, qui sait, des cigarettes bio. »

Je m’en souviens comme si c’était hier parce que je m’étais dit, en entendant cela, que l’étiquette bio venait de prendre le bord. Que si l’industrie alimentaire décidait ainsi de s’approprier le concept et de le dénaturer pour en faire uniquement un outil de marketing, on pouvait bien lui dire adieu. Heureusement, ce n’est pas totalement arrivé.

L’alimentation a évolué. Il existe bel et bien du macaroni au fromage en boîte bio et des « Pop Tarts » bio.

Mais d’un point de vue purement commercial, dans l’industrie de la transformation et surtout du marketing des produits transformés, on dirait que c’est l’obsession du sans-gluten qui a rapidement repris le flambeau, tassant le bio comme étiquette vendeuse pour laisser la place au marketing des intolérances, puis du véganisme.

Actuellement, c’est dans une nouvelle catégorie de produits appelée « kéto » qu’on voit apparaître de nouvelles UGS (unités de gestion des stocks), pour répondre à la demande de consommateurs qui croient en ces nouveaux régimes pro-gras.

Bref, quelque 14 ans plus tard, le bio est toujours là, mais pas pour vendre du Pepsi.

Sauf que cela n’empêche pas les Français de s’inquiéter.

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Hier, dans une dépêche de l’Agence France-Presse, on apprenait que les agriculteurs bio français, appuyés par des organismes comme Greenpeace et des chefs cuisiniers, avaient lancé une campagne pour alerter la population sur le risque d’une « industrialisation » de l’agriculture bio, notamment pour les fruits et légumes.

Ce qui les inquiète surtout, ce sont des « projets de grande ampleur de légumes bio produits sous serre chauffée », qui entraîneraient la production de fruits et légumes hors saison. Selon eux, « retrouver sur les étals de la tomate bio française en plein mois de mars est une aberration gustative, agronomique et environnementale ».

Imaginez.

Ils s’énervent pour des tomates en hiver. Que diraient-ils si on leur promettait, je ne sais pas, l’arrivée de Carambars ou de Nutella bio !

La révolte des producteurs biologiques français pose toutefois quelques bonnes questions : qu’est-ce que le biologique ? Et qu’attend-on du biologique ?

Est-ce uniquement une série de règles de production agricole ou est-ce une philosophie alimentaire ?

Apparemment, pour les agriculteurs français, le respect des saisons fait partie de ce qu’on attend du biologique. De la même façon que pour d’autres qui, comme moi, ont sursauté en entendant parler de possibles Twinkies biologiques, l’adjectif va avec une certaine vision alimentaire où on ne mange pas de produits hautement transformés, industriels, par exemple. 

Mais est-ce que l’étiquette « biologique » doit nécessairement porter tous ces concepts en elle, avec en plus des conditions strictes d’élevage ou de culture qui interdisent le chimique et le synthétique ?

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Parfois le mieux est l’ennemi du bien.

Et dans le cas des fruits et légumes, il est clair que si un sérieux encadrement biologique est respecté, on est mieux avec de l’industriel bio que de l’industriel chimique, qui détruit les sols, la biodiversité, encourage les OGM, etc.

Mais est-ce que l’industriel bio est toujours, partout, une super solution ?

Pas nécessairement. Peut-on le critiquer ? Oui.

La révolution agricole que nous devons entamer, encourager, pousser, doit bien évidemment encourager le biologique. 

Mais des questions sociales et culturelles doivent être prises en considération aussi. Et s’ajouter.

Personne ne veut d’une agriculture biologique qui encouragerait le travail sous-payé, par exemple.

Ou d’une agriculture biologique qui finit par être si vaste qu’elle néglige des principes écolos cruciaux comme la nécessaire diversité des cultures, l’importance du travail non mécanisé, donc non polluant, etc.

Et est-ce que, pour ne pas manger de l’industriel, il est logique d’importer des fruits et légumes biologiques du bout du monde, sachant que le transport n’est généralement pas exactement bio lui-même ?

Normalement, local et bio devraient aller ensemble. Et on est mieux de manger du local pas industriel, pas issu d’une agriculture chimique, mais pas nécessairement certifié « bio », que du bio venu de loin. 

En France, ce que les agriculteurs demandent, c’est que bio et saisonnier aillent aussi de pair.

Ils auront de la difficulté à trouver de la sympathie dans un pays froid comme le nôtre, où un des défis de l’agriculture moderne, responsable, est d’étirer les saisons, afin qu’on puisse manger du bio local diversifié même en dehors du calendrier traditionnel des récoltes. 

Des tomates de serre bio en mars ? Désolée, mais au Québec, on ne fera pas une révolution contre ça.