(Paris) L’Autorité bancaire européenne en fait-elle assez pour lutter contre le blanchiment d’argent ? L’institution est sévèrement pointée du doigt après l’abandon d’une enquête autour du vaste scandale de blanchiment visant la banque danoise Danske Bank.

La critique de cette autorité chargée de coordonner et d’harmoniser le travail des superviseurs bancaires nationaux en Europe est venue directement de Bruxelles.  

« Décevant : l’ABE n’a pas agi dans un des plus grands scandales de blanchiment d’argent en Europe », a taclé lundi le vice-président de la Commission européenne, Valdis Dombrovski, dans un message publié sur Twitter.

Le Letton a réclamé « une transformation de la manière dont les décisions sont prises au sein de l’ABE ».

Ces propos interviennent deux semaines après que l’Autorité bancaire européenne a décidé d’abandonner une enquête demandée par l’exécutif bruxellois sur une possible violation du droit européen par les superviseurs danois et estoniens dans l’affaire la banque danoise Danske Bank.

Un blanchiment à 200  milliards

Danske Bank est au cœur d’un vaste scandale de blanchiment d’argent en Europe. Entre 2007 et 2015, quelque 200 milliards d’euros ont vraisemblablement transité à travers les comptes de 15 000 clients étrangers non-résidents, via les activités en Estonie,  au nez et à la barbe des autorités de supervision.

Dans un communiqué extrêmement laconique, l’ABE a annoncé mi-avril qu’elle avait clos ses investigations visant les superviseurs bancaires danois et estonien et décidé de classer sans suite cette enquête.

Une commission spécialement formée avait pourtant remis un rapport mettant sévèrement en cause l’action de ces superviseurs, estimant que ceux-ci avaient commis un certain nombre d’infractions aux règles de l’Union européenne.

Ce rapport confidentiel, consulté par l’AFP, recommandait par ailleurs « la mise en œuvre d’actions particulières par les deux autorités à la lumière » de cette enquête.

Sauf que le conseil des superviseurs de l’ABE, qui réunit les autorités de supervision des 28  États-membres de l’UE, « a rejeté » à la quasi-unanimité ce rapport et ses conclusions.  

Quelques jours plus tard, l’Autorité bancaire européenne a détaillé cette décision dans deux lettres, l’une adressée à la direction générale de la Commission européenne et l’autre à des parlementaires européens.

« Tout en reconnaissant […] qu’il y a eu des erreurs dans la supervision par les deux autorités, un certain nombre de membres du Conseil n’ont pas considéré que ces erreurs représentaient une infraction aux règles de l’Union », y écrit l’ABE.

Une partie des membres a aussi considéré que les exigences de supervision et de coopération stipulées dans les directives européennes n’étaient « ni claires ni inconditionnelles » et qu’elles ne pouvaient suffire à fonder une violation du droit.

« Scandaleuse »

Ces explications ont toutefois eu du mal à convaincre.

« Manifestement les autorités nationales de surveillance ont voulu enterrer le scandale et se protéger mutuellement », a réagi lundi Pervenche Berès, présidente de la délégation socialiste française et rapporteure sur la réforme des Autorités de supervision européenne au Parlement européen.

De son côté, l’eurodéputé allemand Sven Giegold a dénoncé une situation « scandaleuse », estimant que les « superviseurs nationaux avaient manqué à leur obligation légale de n’agir qu’en faveur de l’intérêt européen ».

« Le cas Danske prouve une fois de plus que les autorités compétentes des États-membres de l’UE ne coopèrent pas suffisamment dans la lutte contre le blanchiment », a estimé M. Giegold.

« L’ABE est un organe de coordination des superviseurs nationaux, rien de plus. Les États-membres, qui contrôlent les superviseurs nationaux, défendent avant tout leurs intérêts », a réagi auprès de l’AFP Benoît Lallemand, secrétaire général de l’ONG Finance Watch.

De façon générale, « il y a un refus des États-membres de déléguer de la souveraineté à l’Europe », ajoute M. Lallemand.

« L’organisation de la gouvernance de l’ABE, qui est intergouvernementale, ne permet pas toujours de prendre des décisions sérieuses et indépendantes », a abondé auprès de l’AFP Nicolas Véron, analyste pour les instituts bruxellois Bruegel et américain Peterson Institute for International Economics.

Selon lui, « les autorités nationales ne veulent naturellement pas être contrôlées par une autorité européenne indépendante ».