« Génie des affaires », le baron Albert Frère, décédé lundi à 92 ans, était l'entrepreneur le plus célèbre et le plus riche de Belgique, et un acteur incontournable de l'économie européenne, sa holding GBL détenant des participations chez Total, Lafarge ou Pernod Ricard.

Le PDG de Total Patrick Pouyanné a été un des premiers à lui rendre hommage, assurant que le groupe pétrolier français lui devait « beaucoup ». Son rôle dans la fusion de Fina et Total, en 1999, «a contribué à l'émergence d'un nouvel acteur mondial de l'énergie », a ajouté M. Pouyanné à l'AFP.

Partenaire d'affaires de Paul Desmarais

Albert Frère, partenaire d'affaires du milliardaire canadien Paul Desmarais, fut membre du conseil d'administration de Power Corporation du Canada (Power Corporation) de 1985 à 1995.

La relation d'affaires entre MM. Frère et Desmarais a débuté en 1981, au moment où, en collaboration avec plusieurs partenaires, ils ont pris contrôle de Pargesa, aujourd'hui actionnaire de contrôle de GBL. «Les familles Frère et Desmarais sont unies par un partenariat stratégique» à long terme, a rappelé le holding montréalais par voie de communiqué ce matin.

La holding Groupe Bruxelles Lambert (GBL) a annoncé lundi matin le décès de son ancien patron, qui était resté président d'honneur après avoir passé le relai en 2015 au duo constitué de Ian Gallienne (son gendre) et Gérard Lamarche. GBL, société cotée depuis plus de 60 ans, revendique une capitalisation de 15 milliards d'euros à fin septembre 2018 et un portefeuille de participations évalué à 19 milliards.

« Pendant plus de 30 ans, nous avons pu bénéficier du professionnalisme, de l'humanité et du sens des affaires d'Albert Frère », a indiqué Paul Desmarais fils, président du conseil et co-chef de la direction de Power Corporation. « Albert Frère a joué un rôle essentiel dans le développement de GBL et de Pargesa, et nous lui serons éternellement reconnaissants pour sa contribution inestimable au sein de notre groupe », a ajouté André Desmarais, président délégué du conseil, président et co-chef de la direction de Power Corporation. 

M. Desmarais est mort en 2013 et M. Frère a quitté la direction directe et le conseil d'administration de GBL en 2015.

Le Monde de ce matin raconte le lien entre les deux hommes, évoquant les entreprises communes d'Albert Frère et de «son associé et ami québécois de toujours, Paul Desmarais».

«"L'ami Paul" bégayait et Frère avait un cheveu sur la langue mais bien d'autres choses unissaient ces deux hommes dont les héritiers restent aujourd'hui étroitement associés. Tous deux étaient notamment amusés par les hommes d'affaire français, qu'ils jugeaient compliqués et bavards tandis qu'eux-mêmes jugeaient plus utile de compter... Paul Desmarais, mort en 2013, aura été le vrai compagnon de route du (baron belge), et son fils, Paul Jr., est vice-président du conseil d'administration de GBL.»

Le groupe M6, filiale du géant allemand Bertelsmann, dont Albert Frère avait présidé le conseil de surveillance (2003-2015), a fait part de sa « tristesse », tout comme Bernard Arnault, PDG de LVMH, qui s'est souvenu de ses « 35 ans d'amitié fidèle » avec le milliardaire belge. 

Quant à Albert Frère, il était considéré par le magazine américain Forbes en 2018 comme la 281e plus grosse fortune mondiale, et la première en Belgique, avec un patrimoine estimé à environ 5 milliards d'euros. 

Bâtisseur d'empire

Né le 4 février 1926 à Fontaine près de Charleroi (sud), en plein bassin sidérurgique belge, l'homme avait su, grâce à son génie commercial, bâtir un empire à partir de la petite entreprise familiale d'articles de ferronnerie. 

« Fils d'un marchand de clous », comme le rappelait le titre d'une biographie du journaliste français José-Alain Fralon, il était peu doué à l'école, et a dû son ascension à son flair autant qu'à son culot. 

« En affaires, c'est surtout le premier million qui compte », dira un jour à un de ses amis l'entrepreneur belge, réputé bon vivant, mais très discret sur ses affaires. 

Il prend d'abord la tête de la maison familiale Frère-Bourgeois. Puis il construit progressivement une société de commercialisation de l'acier qui devient la première de Belgique, exportant en pleine guerre froide ses lingots d'acier jusqu'en URSS ou en Amérique latine. 

A 28 ans, au milieu des années 1950, il prend une participation dans les laminoirs du Ruau à Monceau-sur-Sambre, avant de se rendre maître d'une deuxième, puis d'une troisième forge. Vingt-cinq ans plus tard, il contrôle pratiquement toute la production sidérurgique de Charleroi en Belgique. 

En 1982, après huit ans de crise de la sidérurgie, Albert Frère décide de jeter l'éponge et cède ses intérêts dans l'acier aux pouvoirs publics. 

C'est à cette époque qu'on commence en Belgique à l'accuser d'avoir fait fortune en vendant les joyaux de l'économie du royaume, un reproche qui reviendra souvent par la suite. 

Mais l'opération lui fournit un capital important, qui lui ouvre les portes de la haute finance. 

Décoré par Nicolas Sarkozy

Grâce à ses liens privilégiés avec Paribas, ainsi qu'avec son ami canadien Paul Desmarais, il met en place une cascade de holdings qui s'enchevêtrent les unes les autres et constituent progressivement son empire. 

L'une des stars en est GBL, holding détenue conjointement avec la famille Desmarais, et qui possède notamment 7,5 % de l'équipementier sportif Adidas, une part évaluée à 3,3 milliards d'euros. 

Au 30 septembre 2018, GBL détenait aussi 7,5 % du géant des spiritueux Pernod Ricard, 16,9 % du métallurgiste Umicore, 53,7 % d'Imerys (minéraux), 0,6 % de Total, 9,4 % de LafargeHolcim. 

Cette qualité d'actionnaire du cimentier franco-suisse avait valu à GBL une perquisition de la police à son siège bruxellois fin 2017, dans le cadre d'une enquête menée à Paris sur des soupçons de financement indirect de groupes djihadistes en Syrie. 

Outre les affaires, Albert Frère était aussi passionné de gastronomie et d'oenologie.  En 1988, il avait acquis avec Bernard Arnault le domaine Château Cheval Blanc, premier grand cru classé de Saint-Emilion dans le Bordelais. 

Père de trois enfants - dont un décédé en 1999 dans un accident de voiture - il avait été fait baron par le roi des Belges Albert II en 1994. 

Et en 2008 le président français de l'époque Nicolas Sarkozy lui avait décerné les insignes de Grand-croix de la Légion d'honneur.

Avec La Presse

Paul Desmarais et Albert Frère. Archives La Presse