Un contrat est un contrat, tranche la Cour suprême du Canada, qui rejette la requête de Churchill Falls (Labrador) Corporation Limited (CFLCo) de forcer Hydro-Québec à renégocier les conditions d'un contrat de construction d'une centrale hydroélectrique sur le fleuve Churchill signé en 1969.

Selon le plus haut tribunal du pays, les tribunaux ne peuvent obliger les parties à renégocier les termes d'un contrat dûment signé, même si l'une des parties affirme avoir été lésée au fil du temps. 

Dans une décision presque unanime rendue vendredi matin - sept juges ont signé la décision majoritaire et un seul juge, Malcom Rowe, originaire de Terre-Neuve,  a inscrit sa dissidence - la Cour suprême du Canada soutient que les changements imprévisibles du prix de l'électricité n'obligeaient d'aucune façon Hydro-Québec à partager de manière plus équitable les profits provenant de l'exploitation de la centrale hydroélectrique de Churchill Falls.

Ce contrat signé en 1969 alors que l'ancien premier ministre de Terre-Neuve et Labrador, Joey Smallwood était au pouvoir, a longtemps été une source de tensions entre cette province et le Québec. Le contrat, qui a permis à Hydro-Québec d'engranger des revenus frisant les 28 milliards de dollars jusqu'ici, contre seulement deux milliards dans le cas de Terre-Neuve et Labrador, vient à échéance en 2041. 

En vertu de ce contrat, Hydro-Québec s'est engagé à acheter la majeure partie de l'électricité produite par la centrale, peu importe ses besoins énergétiques. 

Cette forme de garantie a permis à CFLCo de financer la construction de la centrale par voie d'emprunts. Aujourd'hui, Hydro-Québec achète l'électricité produite à cette centrale à 0,2 cent le kilowattheure et la revend. Au moment de la signature, aucune clause n'avait été inscrite dans le contrat pour tenir compte de la hausse du prix de l'énergie.

« Ni la bonne foi ni l'équité ne fournissent à CFLCo une assise juridique justifiant l'imposer une modification de l'équilibre initial du contrat d'électricité. La preuve ne révèle pas qu'Hydro-Québec agit de mauvaise fois ou refuse d'accommoder la situation la situation de CFLCo. Elle refuse seulement de remettre les bénéfices qu'elle tire du contrat à sa cocontractante, attitude qui ne contrevient pas à l'obligation d'adopter un comportement loyal et raisonnable », soutient le juge Clément Gascon, qui a écrit le jugement au nom de la majorité.

« Tout compte fait, CFLCo ne cherche pas à protéger l'équilibre du contrat d'électricité, mais plutôt à substituer un nouveau marché au contrat en renversant certains aspects de celui-ci, tout en conservant ceux qui lui conviennent. Ce faisant, elle demande plus qu'accommodements ou compromis; elle demande à sa partenaire contractuelle de renoncer aux avantages qu'elle obtient en contrepartie des sacrifices qu'elle a faits durant les premières années du projet, situation dont CFLCo profite depuis 1969 et encore aujourd'hui. Ni la bonne ni l'équité ne justifient de faire droit à ces demandes », affirme aussi le juge Gascon.

Dans leur plaidoirie, les avocats de CFLCo ont soutenu que ce contrat devait être renégocié en s'appuyant sur le Code civil du Québec. En droit québécois, les personnes qui concluent un contrat ensemble ont certaines obligations l'une envers l'autre lorsqu'il s'agit d'un contrat « relationnel ». La société Churchill Falls affirmait que le contrat avec Hydro-Québec était un contrat relationnel et que, conséquemment, Hydro-Québec avait l'obligation de partager ses profits importants. 

Mais la Cour suprême du Canada a rejeté cette prétention, affirmant au contraire que l'entente était un contrat transactionnel. Et les juges ont souligné qu'il n'est jamais arrivé dans l'histoire du pays qu'un tribunal force des parties à renégocier les aspects fondamentaux d'un contrat pour forcer une des parties à renoncer à une part de ses profits uniquement parce que ceux de l'autre partie n'étaient pas à la hauteur de ses attentes.

Seul le juge Malcom Rowe a conclu que le contrat qui lie CFLCo à Hydro-Québec est de nature relationnelle et que les deux parties sont par conséquent assujetties à une obligation de collaboration. Le magistrat nommé à la Cour suprême en décembre 2016 soutient en outre qu'Hydro-Québec a manqué à cette obligation en refusant de rouvrir le contrat.

Cette décision du plus haut tribunal du pays confirme celles de la Cour supérieure du Québec et la Cour d'appel du Québec.

Hydro-Québec a salué cette décision qui met un terme à une bataille juridique de près de huit ans. « Hydro-Québec est satisfaite de la décision de la Cour suprême. C'est une décision importante qui confirme que le prix négocié au contrat de 1969 n'a pas à être révisé. Cette décision est la troisième qui confirme la position d'Hydro-Québec. [...] Maintenant que ces procédures qui ont nécessité beaucoup de ressources et de temps des deux parties sont terminées, Hydro-Québec espère que cela signifie le début d'un nouveau chapitre sous le thème de la collaboration », a indiqué Cendrix Bouchard, porte-parole de la société d'État.

QUÉBEC SATISFAIT

À Québec, la décision a été applaudie par le ministre des Ressources naturelles, Jonatan Julien, qui s'est dit « très satisfait » du verdict de la Cour suprême. Selon lui, la fin de la bataille judiciaire entre Québec et Terre-Neuve permet aux deux provinces d'entrevoir une nouvelle relation. Il a dit souhaiter une collaboration accrue dans plusieurs domaines, notamment les mines et le développement hydroélectrique.

« À partir du moment où un litige est terminé, où il y a une décision de la Cour suprême, ça permet de regarder vers l'avant, de part et d'autre, et de voir comment on construit une collaboration ensemble », a résumé M. Julien.

Il a exclu de renégocier l'entente de Churchill Falls pour faciliter une collaboration future avec Terre-Neuve. « Pour nous, l'entente qui dure jusqu'à 2041, elle a passé régulièrement le test des tribunaux, a dit M. Julien. Et aujourd'hui, on a une décision qui vient confirmer les fondements et le bien-fondé de l'entente contractuelle, qui vient confirmer la bonne foi d'Hydro-Québec, alors qui vient confirmer que ce contrat est bien géré. »

- Avec Martin Croteau, La Presse