Le président du conseil de la corporation Lloyd's de Londres, Bruce Carnegie-Brown, était de passage à Montréal pour rencontrer des souscripteurs et des syndicats de spécialistes canadiens de l'assurance pour discuter de gestion de risque. Selon lui, l'occurrence de désastres naturels liés aux changements climatiques ne va aller qu'en augmentant, alors que les risques liés à la cybersécurité vont tout simplement doubler dans les deux prochaines années.

Un rapport tout récent de l'Organisation des Nations unies nous a appris que les dommages causés par les désastres naturels ont plus que doublé au cours des 20 dernières années pour atteindre 2900 milliards US. Comment appréhendez-vous les dommages encore plus importants que vont générer les changements climatiques au cours des prochaines années ?

On est pleinement conscients que les changements climatiques sont bien réels. Nos modèles de prévision de risque nous démontrent clairement que la fréquence des évènements s'accentue et que leur sévérité ne fait qu'augmenter.

Assurer la couverture des risques liés aux catastrophes naturelles demeure notre plus importante ligne d'affaires. Si on ne fait pratiquement pas d'assurance individuelle, on observe que beaucoup de gens vivant dans des régions à risque ne sont pas assurés. L'an dernier, lors des inondations qui ont paralysé Houston, une ville à haut risque, seulement un citoyen sur cinq était assuré contre les inondations.

La semaine dernière, l'Espagne et le Portugal ont été frappés par des tempêtes tropicales. La région du sud de la France a été victime d'inondations comme on n'en avait jamais vu en un siècle. Il n'y a pas une part d'imprévisibilité qui semble grandissante ?

C'est le propre de l'assurance que de protéger les gens contre des évènements qui sont exceptionnels et imprévus. Des crues soudaines comme celles qu'on a vues en France vont se produire de plus en plus.

Lorsqu'on fait l'agrégation des trois ouragans qui ont frappé les États-Unis l'an dernier, on constate que seulement 25 % des pertes économiques ont été couvertes par des assurance. C'est quand même étonnant dans un pays riche comme les États-Unis.

Les changements climatiques vont continuer de faire pression sur le prix des polices d'assurance. Il n'y a pas un danger que de plus en plus d'individus ne soient plus capables d'assumer de tels coûts ?

C'est certain que plus une personne fait face à un risque, plus grande sera sa responsabilité face à ce risque. Chez Lloyd's, on fait peu d'assurance individuelle, on assure davantage les risques de grande ampleur comme d'assurer la couverture des compagnies aériennes.

Or, les prix des assurances baissent parce que les accidents d'avion sont de plus en plus rares, mais les compagnies aériennes doivent tout de même s'assurer.

Avec l'avènement de la voiture autonome, les accidents d'autos vont aussi se raréfier, et les primes vont baisser. La nature des risques évolue, mais c'est certain que les changements climatiques vont continuer d'exercer une pression à la hausse sur la couverture des gens et des entreprises.

Outre l'intensification des désastres liés aux changements climatiques, est-ce qu'il y a de nouvelles zones de risque qui émergent ?

Absolument. La cybersécurité est devenue une activité éminemment à risque. Présentement, la Lloyd's est responsable de 33 % du marchés mondial de l'assurance contre les failles de sécurité informatiques.

C'est un marché qui s'élève seulement à 4 milliards aujourd'hui mais qui va plus que doubler dans les deux prochaines années.

Aujourd'hui, 80 % du marché de la cybersécurité est concentré aux États-Unis, mais les entreprises des pays de partout dans le monde commencent à comprendre l'importance d'avoir une bonne couverture.

J'espère que vous n'avez pas Facebook comme client...

(Rires...) Je ne sais pas, je ne pense pas que Facebook soit assurée, mais on a notamment Equifax comme client qui a été victime l'an dernier d'une cyberattaque massive.

La cybersécurité est devenue un risque qui se discute maintenant au conseil d'administration des grandes entreprises.

Ça fait partie de nos secteurs prioritaires. La Lloyd's a toujours été spécialiste de l'assurance complexe pour assurer la couverture de contrats internationaux, les entreprises qui ont des chaînes d'approvisionnement mondiales, contre les interruptions de production ou pour protéger des actifs intangibles.

Un autre gros secteur porteur est celui de l'assurance dynamique que l'on commence à proposer à nos clients. Plutôt que de prendre une police d'assurance pour une période d'un an, nos clients peuvent acheter des couvertures par période.

Si vous avez un cargo qui doit transporter sa marchandise de Singapour à Londres et qui doit naviguer durant deux jours dans une zone de guerre, il est maintenant possible de prendre une police pour ces deux jours plutôt que pour l'année.

On installe aussi des capteurs dans les conteneurs qui mesurent en temps réel le déplacement de la cargaison, les conditions de navigation, le taux d'humidité... C'est de l'assurance beaucoup plus personnalisée.

Vous êtes de passage à Montréal pour rencontrer des souscripteurs canadiens à vos polices d'assurance et des responsables de syndicats de sociétés d'assurances qui font affaire avec vous. Est-ce que le marché canadien est important pour Lloyd's ?

Oui, tout à fait. Le Canada et les États-Unis représentent plus de 50 % de toutes nos activités internationales, devant l'Union européenne, l'Australie et l'Amérique latine.

On fait de l'assurance depuis 330 ans. À l'époque, les échanges commerciaux se faisaient par bateau. L'Angleterre était la principale nation commerçante du monde et réalisait beaucoup d'échanges avec l'Amérique. Nos liens datent de cette époque.

On dit que la Lloyd's est la compagnie d'assurances qui peut assurer l'inassurable. Quelle est la couverture la plus farfelue que vous avez accepté de réaliser ?

C'est une fraction négligeable de nos activités, mais c'est celle dont les gens veulent le plus entendre parler. On assure les jambes de danseurs et danseuses de ballet, on assure les doigts de joueurs de cricket.

Une chose un peu folle que l'on vient de faire, c'est d'assurer il y a tout juste quelques semaines pour 200 millions la vie de l'acteur Will Smith qui voulait réaliser un saut de bungee pour son 50e anniversaire de naissance.

Le tout s'est bien déroulé, et on a fait notre profit...

photo gerald herbert, archives associated press

« On est pleinement conscients que les changements climatiques sont bien réels. Nos modèles de prévision de risque nous démontrent clairement que la fréquence des évènements s'accentue et que leur sévérité ne fait qu'augmenter », explique Bruce Carnegie-Brown, président du conseil de Lloyd's.