Même s'ils ont reçu dès juillet un courriel de l'Autorité des marchés financiers (AMF) les avertissant qu'ils s'apprêtaient à investir dans une cryptomonnaie québécoise frauduleuse, des dizaines d'investisseurs qui ont acheté des Plexcoin font la sourde oreille et continuent de croire que leur placement leur rapportera des gains importants.

« Je vous le dis, la majorité des investisseurs sont satisfaits de leur achat et certains en ont d'ailleurs bien profité quand le Plexcoin était à 2 $. Il remonte tout doucement, donc les gens continuent de l'acheter malgré la panique générale », a affirmé à La Presse Baptise Bertaina, un investisseur français qui incite ses pairs sur le forum PlexCoin France à ne pas « céder à la panique » provoquée par l'intervention de l'AMF et de la Stock and Exchange Commission dans le dossier.

Les créateurs du Plexcoin, les Québécois Dominic Lacroix et sa conjointe Sabrina Paradis-Royer, de Charlesbourg, sont au coeur de l'une des premières enquêtes d'importance menée par l'Autorité des marchés financiers contre une cryptomonnaie.

L'unité spéciale de cyberenquête de la Security and Exchange Commission (SEC), créée en septembre pour lutter contre les cryptomonnaies frauduleuses, s'est aussi fait les dents sur ce cas, ces dernières semaines. Lundi, l'organisme américain a obtenu un « gel urgent » des actifs de l'entreprise de Lacroix, Plexcorps, qui aurait récolté frauduleusement plus de 15 millions US de capitaux entre la fin d'août et la mi-octobre.

La procureure de l'AMF, Me Nathalie Chouinard, a affirmé devant la Cour supérieure qu'entre 7 et 8 millions investis dans le Plexcoin n'ont toujours pas été retrouvés.

Mais la cryptomonnaie, qui fonctionne sur un réseau décentralisé d'ordinateurs échappant au contrôle des autorités, ne peut d'aucune façon être complètement stoppée. Malgré l'intervention de l'AMF et de la SEC, son cours oscillait autour de 0,04 $US hier, en net recul depuis qu'il avait atteint 0,80 $US la semaine dernière.

En juillet dernier, alors que l'enquête était en cours, l'Autorité des marchés financiers avait réussi à mettre la main sur un fichier contenant les adresses de courriel de personnes qui s'étaient inscrites auprès de PlexCorps pour être les premières à acheter des Plexcoin. Des milliers de courriels d'avertissement ont été envoyés en juillet à ces investisseurs potentiels, les incitant à la plus grande prudence.

Néanmoins, Laurent Géry, un investisseur français qui a reçu le courriel d'avertissement de l'AMF, dit avoir acheté 2000 euros en Plexcoin, et ce, en dépit des drapeaux rouges. « Les documents d'investissement [de Plexcorps] étaient écrits en français, je comprenais ce qui était écrit. J'y croyais. »

« En fait, j'étais sûr que c'était le courriel de l'Autorité des marchés financiers qui était une arnaque. C'était la première cryptomonnaie dans laquelle j'investissais ; j'ai vite déchanté. » - Laurent Géry, investisseur français

Sur le forum PlexCoin France, un acheteur québécois originaire de Sainte-Angèle disait en avoir acheté au prix de 300 $ hier encore, malgré l'intervention de l'AMF et de la SEC. « Moi, je suis dur à décourager. J'en ai racheté pour 300 $ tantôt », a-t-il écrit.

Une pétition a aussi été lancée sur le site Avaaz Community Petitions, où les signataires affirment que le Plexcoin n'est pas une arnaque (Plexcore is not a scam). « La fraude n'est pas la cryptomonnaie... Mais plutôt les personnes qui sont parties avec la caisse », croit Paul Robert, investisseur québécois qui avait acheté pour 150 $.

PAS D'AUTORITÉ SUR LES CRYPTOMONNAIES

Pour le spécialiste en conformité financière Messaoud Abda, examinateur agréé en matière de fraude qui travaille pour différentes universités montréalaises, le refus des investisseurs de suivre les conseils de l'AMF témoigne du fait que sur le plan juridique, cette dernière n'a aucune autorité sur les cryptomonnaies. « Il y a un flou que les régulateurs n'ont pas encore dissipé. Au Canada, le commerce de la monnaie relève entièrement de la Banque centrale. L'AMF s'est trompée de mission en essayant de réguler une cryptomonnaie.

« Ils ont fait un bon travail de sentinelle - c'est très bien qu'ils veuillent protéger le public -, mais ils se trompent de mission. Ils n'ont pas le pouvoir de le faire parce que les cryptomonnaies ne sont pas régulées », explique-t-il.

« C'est comme si l'Autorité des marchés financiers du Québec se prononçait contre quelqu'un qui a fait un stratagème frauduleux sur l'euro. Les gens diraient qu'elle n'a pas [de compétence en la matière]. Seule la banque centrale européenne peut intervenir. » - Messaoud Abda, examinateur agréé

Dominic Lacroix, âgé de 35 ans, avait déjà plaidé coupable en 2013 à des accusations de placement illégal d'argent, après que l'AMF eut sévi contre une entreprise de micro-prêts qu'il avait créée. Il avait alors écopé d'une amende de 25 000 $.

L'AMF réclame maintenant une peine de prison de six mois et 110 000 $ d'amende pour un outrage au tribunal relativement à une fraude alléguée avec Plexcoin. En dépit d'une ordonnance du Tribunal administratif des marchés financiers lui interdisant de commercialiser le Plexcoin, il a continué à en faire la promotion sur différents sites internet et à accepter les paiements des investisseurs.

« L'AMF mène une enquête importante qui se poursuit. Nous continuons à mettre fermement en garde les Québécois et les autres investisseurs contre Plexcorps », a déclaré le porte-parole Sylvain Théberge.

Pour s'y retrouver

Les cryptomonnaies sont des devises électroniques échangeables via internet, d'un appareil branché à un autre. L'échange se fait de pair à pair, sans intervention d'un tiers (comme une banque), mais les transactions sont vérifiées par un vaste réseau décentralisé d'ordinateurs qui s'assurent de l'intégrité des transactions par consensus. On en trouve des dizaines en circulation : bitcoin, ether, Litecoin, Dash, Dogecoin, etc. Elles sont généralement lancées lors d'Initial Coin Offerings (ICO), semblables aux premiers appels publics à l'épargne en Bourse. Les ICO ne sont cependant pas régulées et échappent au contrôle des régulateurs traditionnels. Certaines cryptomonnaies, comme le bitcoin, ont récolté depuis leur création des milliards de dollars en capitalisation (200 milliards US dans le cas du bitcoin). D'autres cryptomonnaies ont à peine quelques dizaines de milliers de dollars de capitalisation, et leur cours, semblable à celui des « penny stocks » à la Bourse, est extrêmement volatil. Les gens qui les possèdent peuvent les échanger contre d'autres cryptomonnaies ou contre de l'argent comptant sur des sites d'échange spécialisés.

Photo tirée de Facebook

Dominic Lacroix et sa conjointe Sabrina Paradis-Royer, créateurs du Plexcoin, auraient présenté leur monnaie virtuelle comme une solution de rechange au bitcoin.