Près d'une vingtaine d'employés de l'Agence du revenu du Canada (ARC) ont fait le saut directement au cabinet comptable KPMG, ces dernières années, une proximité qui alimente les apparences de « copinage » entre les deux organisations, selon un expert en gouvernance.

« C'est clair qu'il y a là une proximité dangereuse », a commenté hier Michel Nadeau, directeur général de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques, après avoir pris connaissance des informations de La Presse.

L'ARC et KPMG sont sur la sellette depuis plusieurs jours à Ottawa, après qu'un reportage d'Enquête a révélé de nouveaux détails sur un stratagème fiscal mis au point par la firme comptable à l'île de Man. Les riches clients de KPMG impliqués dans cette affaire ont bénéficié d'une amnistie de la part de l'ARC, tandis que le cabinet a continué à récolter des millions en contrats fédéraux.

Alors que certains à Ottawa s'interrogent sur les liens entre l'ARC et KPMG, une recherche de La Presse a permis de constater que la firme comptable a recruté au moins 17 experts en fiscalité de l'agence gouvernementale, ces dernières années. Plusieurs de ces embauches - surtout des contrôleurs fiscaux - ont eu lieu entre 2014 et 2016.

« Les cadres de l'Agence du revenu du Canada, comme ceux de Revenu Québec, sont des gens très désirés, car ils connaissent l'intérieur de la machine et les individus clés, a observé Michel Nadeau. Mais est-ce qu'il ne devrait pas y avoir une période de "refroidissement", disons un an ou deux, pendant laquelle les anciens employés de l'ARC ne devraient pas faire des tâches directement liées à leurs anciennes fonctions ? »

M. Nadeau estime que ces embauches rapides par KPMG peuvent créer des apparences de « copinage ».

« PÉRIODE DE RESTRICTION »

À l'ARC, le porte-parole David Walters a confirmé à La Presse que rien n'interdisait à un ancien employé de l'agence d'aller travailler directement pour KPMG ou une autre firme comptable. Les démissionnaires doivent toutefois divulguer leur nouveau poste à l'Agence et respecter certaines conditions.

Ces obligations de divulgation sont récentes. Depuis le 1er mars 2014, la directive « sur les conflits d'intérêts et l'après-mandat » s'applique à tous les employés de l'ARC. Avant cette date, seuls les membres du « cadre exécutif » étaient tenus de s'y conformer.

Selon cette nouvelle règle, tous les employés doivent respecter une « période de restriction » d'un an après leur départ de l'ARC.

« Durant la période de restriction, toute offre ou acceptation d'emploi qui constituera, ou pourrait constituer, un conflit d'intérêts réel, apparent, ou éventuel doit être divulguée par écrit à l'agent principal de l'après-mandat. » - Extrait d'un document officiel de l'ARC

Le porte-parole de l'ARC n'a pas été en mesure de dire combien d'ex-employés avaient divulgué de possibles conflits d'intérêts depuis l'instauration de la directive en 2014.

« C'EST SAIN »

KMPG n'a pas commenté directement les données de La Presse, hier. La porte-parole Tenille Kennedy nous a plutôt orienté vers des déclarations faites en mai 2016 par Greg Wiebe, l'un des principaux associés du cabinet au Canada, devant le comité des finances du Parlement.

Pressé de questions par la députée conservatrice Lisa Raitt, qui affirmait que KPMG avait embauché 50 employés de l'ARC ces dernières années, M. Wiebe avait nié catégoriquement ces chiffres. Il avait alors affirmé que sur les 1400 professionnels en fiscalité de KPMG au Canada, « sept ou huit » provenaient de l'ARC.

Une recherche de La Presse sur le site de réseautage professionnel LinkedIn révèle plutôt qu'au moins 17 employés de l'ARC sont passés directement chez KPMG ces dernières années. Plusieurs autres ex-travailleurs de l'agence fédérale ont décroché des postes chez KPMG, mais ils ont occupé un autre emploi entre-temps.

Greg Wiebe a fait remarquer l'an dernier que plusieurs experts en fiscalité ont pris le chemin inverse, passant de KPMG à l'Agence du revenu. « Je crois que c'est sain », avait-il déclaré.

Les liens entre l'ARC et KPMG devraient continuer d'alimenter les débats à Ottawa au cours des prochains mois. Avant-hier, le Conseil canadien de la magistrature a lancé un examen sur de possibles « inconduites » de la part de trois juges dans ce dossier, dont le juge en chef de la Cour canadienne de l'impôt, Eugene Rossiter.

photo sam mircovivh, archives reuters

Alors que certains à Ottawa s'interrogent sur les liens entre l'ARC et KPMG, une recherche de La Presse a permis de constater que la firme comptable a recruté au moins 17 experts en fiscalité de l'agence gouvernementale, ces dernières années.