Le Groupe Jean Coutu remporte une victoire en cour au sujet de ses contrats de franchise, après des années de litige: la Cour supérieure vient de déclarer que sa clause de partage des redevances est légale et respecte le Code de déontologie des pharmaciens du Québec.

Le problème concernait une clause contractuelle qui prévoyait que les franchisés devaient payer une redevance au Groupe Jean Coutu sur les revenus provenant notamment de la vente de médicaments.

Or, le partage des bénéfices sur la vente de médicaments avec un non-pharmacien n'est pas permis par le Code de déontologie des pharmaciens dans la province.

Dans sa décision rendue fin décembre, la juge Michèle Monast a confirmé la légalité de la clause du contrat. Elle précise du même coup une disposition législative du Code de déontologie qui va toucher toutes les pharmacies franchisées au Québec, celles de Jean Coutu, mais aussi celles des autres bannières.

La poursuite avait été intentée par Michel Quesnel, un pharmacien propriétaire de pharmacies franchisées du Groupe Jean Coutu.

L'homme avait fait l'objet de plaintes de l'Ordre des pharmaciens, qui lui reprochait, entre autres, d'avoir partagé ses honoraires ou ses bénéfices avec un non-pharmacien. Il affirme avoir tenté, en vain, d'obtenir auprès de Jean Coutu une modification de la clause de redevances de la convention de franchise.

Il a plaidé coupable en 2008 aux plaintes déposées contre lui et payé des amendes, afin d'obtenir une réduction de sa peine et éviter de perdre son titre de pharmacien, a-t-il soutenu.

Il a ensuite poursuivi, la même année, le Groupe Jean Coutu pour faire déclarer la clause invalide et obtenir le remboursement des redevances qu'il jugeait alors illégalement versées.

Jean Coutu a plaidé que la clause en question était conforme à la loi.

La juge lui a donné raison et a tranché que la clause respectait le Code de déontologie, car les redevances versées par M. Quesnel correspondaient à la juste valeur des services fournis par Jean Coutu, notamment le droit d'utiliser le nom et la marque de commerce bien connue de la chaîne de pharmacies, ainsi que toutes sortes de services, notamment des campagnes de publicité.

«Selon la jurisprudence récente du Tribunal des professions, rien n'interdit à un pharmacien de prélever à même les revenus qui proviennent de la vente des médicaments, les sommes nécessaires pour acquitter les dépenses d'exploitation», est-il écrit dans le jugement.

Mais à une condition: «Dans la mesure où il conserve son indépendance professionnelle pour tout ce qui concerne les actes qui lui sont réservés en vertu de la loi.»

«Nous sommes satisfaits de ce jugement», a déclaré en entrevue Hélène Bisson, vice-présidente aux communications du Groupe Jean Coutu. Selon elle, la décision permet de rassurer les pharmaciens propriétaires affiliés au réseau quant à la validité de leurs conventions de franchise.

L'Ordre des pharmaciens maintient sa position

Quant à l'Ordre des pharmaciens, il affirme que la décision ne changera rien à ses façons de faire. Et que l'interdiction sur le partage des bénéfices va demeurer dans le Code.

La décision «réaffirme notre position d'une certaine façon», a déclaré en entrevue le président du conseil d'administration de l'Ordre, Bertrand Bolduc.

Celui-ci a expliqué qu'à l'origine, une plainte avait été déposée contre M. Quesnel par une cliente qui rapportait que le pharmacien avait refusé d'honorer son ordonnance parce que le coût pour lui de le faire, en raison des redevances qu'il devait remettre à Jean Coutu, dépassait de loin l'honoraire remboursé par la Régie d'assurance-maladie du Québec. Bref, que cela n'était pas rentable pour lui. C'est lui-même qui a soulevé son contrat de partage des bénéfices, avance M. Bolduc.

Pour l'Ordre, il demeure important que la clause prohibant le partage des honoraires demeure pour maintenir l'indépendance professionnelle des pharmaciens, et cela, afin de protéger le public, explique M. Bolduc. Comme c'est le cas des autres professions, avance-t-il.

Il affirme que l'Ordre fonctionnera au cas par cas: si la clause d'un contrat prévoit des redevances justes vu les services rendus par le franchiseur, il n'y a pas de problème. Mais si les redevances sont disproportionnées, elles peuvent constituer un partage de bénéfices camouflé qui pourrait nécessiter une intervention de l'Ordre, indique M. Bolduc.

Une demande d'action collective a aussi été déposée par des franchisés contre Jean Coutu, mais n'a pas encore été autorisée par un juge. Parmi d'autres revendications, les franchisés s'en prennent aussi à la clause portant sur les redevances. Le Groupe Jean Coutu n'a pas voulu se prononcer sur l'impact de ce récent jugement sur le sort de l'action collective.

Ni M. Quesnel ni son avocat n'ont rappelé La Presse canadienne mercredi.

Le jugement peut faire l'objet d'un appel dans les 30 jours suivant la décision, qui porte la date du 29 décembre.