Le procès du scandale financier Fondation Fer de Lance a viré à l'absurde. Au début des audiences, le 25 janvier, trois des accusés ont cherché à imposer au tribunal une logique inspirée de celle des «Freemen on the Land», ce groupe qui se dit imperméable aux lois de l'État.

Le juge Serge Delisle, fort patient, a même fini par demander à l'accusé Denis Nadeau s'il était un être humain.

Le 20 janvier, rappelons-le, l'avocat Jean-Pierre Desmarais a été condamné à une amende de 345 000 $ et à 18 mois de prison dans cette affaire, portée en appel. Il a été trouvé coupable de collecte illégale de fonds à titre de cofondateur de l'organisation. La Fondation collectait des millions en promettant des rendements annuels allant jusqu'à 150 %, capital garanti.

Le procès des cinq autres personnes accusées par l'Autorité des marchés financiers (AMF) a débuté le lundi 25 janvier.

- Votre prénom à vous, M. Nadeau, c'est quoi ? » a demandé le juge Serge Delisle à quelques reprises.

- « Mon prénom, c'est Joseph Denis Adélard. »

- Et vous, êtes-vous un être humain ou une personne légale ? »

- « Moi, je suis un être humain [...]. Et si, à matin, des gens nous disent qu'on est des êtres humains, je veux savoir si l'AMF a juridiction sur les êtres humains et qu'il m'amène le document pour me démontrer qu'il a juridiction sur les êtres humains », a expliqué Denis Nadeau.

Selon la théorie de l'accusé, la personne légale est une entité distincte de l'être humain. Or, l'être humain serait essentiellement protégé par les chartes des droits canadienne et internationale, au-delà de la personne légale.

- « À qui s'adressent les infractions [de l'AMF] : à l'être humain ou à la personne légale ? C'est important pour ma défense. C'est le jour et la nuit », a fait valoir M. Nadeau, dont le plaidoyer était suivi par une quinzaine d'investisseurs sur place.

Pour faire reconnaître son statut « d'être humain vivant », Denis Nadeau a, dès le début du procès, tenté de déposer son acte de naissance. Il a fait de même avec ceux de deux autres coaccusés qu'il représentait, soit Réjean Duguay et Michel Hamel.

- « Vous appelez-vous Denis Nadeau ? », a demandé le juge au début des audiences.

- « Non. »

- « Non ? Alors qu'est-ce que vous faites ici ? Si vous n'êtes pas monsieur Denis Nadeau, je vais vous demander de quitter. Et là, je vais appeler monsieur Nadeau et si monsieur Nadeau n'est pas présent, alors on pourra entendre le dossier par défaut... »

- « Monsieur le juge, j'ai apporté monsieur Denis Nadeau avec moi. Car la Cour m'a obligé à demander à Denis Nadeau de se présenter. Je l'ai apporté avec moi et je le dépose. »

Le juge Delisle a finalement accepté de regarder les actes de naissance des trois accusés et d'écouter patiemment la plaidoirie de Denis Nadeau.

En 2011, lors du dépôt des accusations, l'AMF entendait réclamer 12 000 $ d'amendes à M. Nadeau (quatre chefs d'accusation), 84 000 $ à M. Duguay (14 chefs) et 340 000 $ à Michel Hamel (34 chefs). Ce dernier était le directeur général de la Fondation.

Les trois ont aidé la Fondation, d'une façon ou d'une autre, à collecter des millions en contravention de la Loi sur les valeurs mobilières. Une partie des fonds a été transférée dans des paradis fiscaux, et l'AMF y a perdu la trace d'environ 2 millions.

Toujours le lundi 25 janvier, le président désigné de la Fondation, George Fleury, a plaidé coupable aux 34 chefs portés contre lui. Il est passible d'une amende de 340 000 $.

L'âme dirigeante de la Fondation, Paul Gélinas, ne s'est pas présentée au procès. Toutefois, Denis Nadeau a demandé au juge Delisle s'il pouvait déposer l'acte de naissance original d'être humain de Paul Gélinas, ce qui lui a été refusé.

Paul Gélinas est passible d'une peine d'emprisonnement de 5 ans moins un jour et d'une amende de 1,1 million. Dans ses documents de sollicitation, la Fondation affirmait que sa mission était « d'utiliser tous les moyens disponibles pour améliorer la qualité de vie du genre humain sur la terre ».

Le plaidoyer de Denis Nadeau est propre à celui des « Freemen on the Land » (citoyens souverains) aux yeux du juge et de l'avocat de l'AMF, mais Denis Nadeau s'en dissocie. Aux États-Unis, un groupe de miliciens armés inspirés de la même mouvance a occupé un parc national en Oregon, début janvier.

Le mardi 26 janvier, lendemain de l'audience, le juge a coupé court à cette défense, après avoir invoqué des arrêts de jurisprudence. « Vous êtes des êtres humains et vous possédez la personnalité juridique. Vous êtes donc soumis aux lois du Québec, dont la Loi sur les valeurs mobilières et le Code de procédure pénale, et le tribunal a compétence pour entendre la poursuite pénale dont vous faites l'objet. »

Après ce verdict, les trois accusés ont quitté le tribunal et ne sont pas revenus depuis. Ils devraient revenir pour les plaidoiries prévues vendredi.

Photo Sarah Mongeau-Birkett, Archives La Presse

Le procès des cinq autres personnes accusées par l’Autorité des marchés financiers dans l’affaire du scandale financier Fondation Fer de Lance a débuté le 25 janvier pour se terminer le lendemain. 

Photo Patrick Sanfaçon, archives La Presse

Des changements sont perceptibles dans l’application du régime public d’indemnisation des victimes d’actes criminels, « du moins en ce qui a trait à certaines décisions judiciaires », écrit l’auteure.