Il a fallu un match de soccer au Portugal pour que Sead Doric commence à y croire.

Jusqu'alors, l'optogénétique ne semblait offrir aucune perspective durable à l'entreprise de lentilles et de technologies optiques qu'il avait fondée en 1995.

Comme chacun sait, l'optogénétique est une méthode utilisée en neurosciences pour scruter l'activité cellulaire dans le cerveau grâce à la fibre optique.

Il va sans dire que cette technologie s'appuie sur un minuscule implant, fixé sur la tête et mis en contact avec une cellule cérébrale. Bien sûr, ce neurone a été préalablement sensibilisé par l'injection d'une protéine qui réagit à la lumière - une opsine.

Un influx lumineux, transmis par une fibre optique connectée à l'implant, autorise le passage des signaux dans le neurone, à la manière d'un interrupteur. La souris ainsi branchée (une vraie, avec des poils et quatre pattes) peut se mouvoir durant l'expérience.

L'optogénétique s'est grandement développée depuis ses débuts, vers 2005, et ouvre des avenues très prometteuses pour l'étude des maladies neurologiques.

Mais qu'est-ce qu'une entreprise comme Doric Lenses pouvait bien en tirer ?

UN PROBLÈME À STANFORD

Sead Doric, d'origine bosniaque, avait fait ses études doctorales en physique à Londres, avant d'accepter un emploi à l'Institut national d'optique, à Québec, en 1989. Six ans plus tard, il créait son entreprise dans son sous-sol.

Vers 2007, des chercheurs de l'Université Stanford ont contacté Doric Lenses pour un problème technique en optogénétique. Les souris, dans leurs mouvements dans la cage, tordaient la fibre optique jusqu'à la rompre.

« Ils ont vu qu'on était spécialistes en couplage de lumière et un étudiant de l'équipe nous a demandé si on pouvait faire quelque chose », relate Sead Doric.

Son entreprise a proposé un joint rotatif qui donnait toute latitude de mouvement à la souris, sans torsion dans la fibre.

Un article scientifique a bientôt fait état des travaux des chercheurs de Stanford.

« Il y avait même une vidéo qui montrait une souris paraplégique, qui, au moment où on allume la lumière bleue, se met à courir autour dans la cage, et s'arrête quand la lumière est éteinte. » - Sead Doric

Deux jours après la publication, Doric Lenses recevait un fax de Séoul pour l'achat du même dispositif, puis, deux jours plus tard, un autre de Pékin.

BOF !

Malgré cet intérêt, Sead Doric n'y croyait pas vraiment.

« Mon estimation, au début, c'était qu'il n'y avait pas de marché, quelques centres de neurosciences, à peine. »

Jusqu'au match de phase éliminatoire de la Coupe du monde de soccer, joué à Lisbonne en novembre 2009 entre la Bosnie et le Portugal.

Il avait promis à ses fils de les y amener pour voir jouer l'équipe de son pays d'origine. Il décide d'en profiter pour y rencontrer un chercheur qui l'avait contacté.

« J'ai appelé le gars et il m'a dit qu'il pourrait organiser une rencontre avec 25 autres chercheurs », relate-t-il.

La Bosnie a perdu le match et a raté sa qualification, rappelle Sead Doric, mais « c'est peut-être le voyage d'affaires le plus payant que j'ai jamais fait » !

Les rencontres avec les chercheurs ont inspiré de nouveaux produits pour l'optogénétique qui ont connu un succès immédiat et ont trouvé le chemin de laboratoires californiens, japonais, coréens et européens.

VOIR LOIN

À raison de 20 % par année, la croissance de Doric Lenses s'appuie dorénavant sur les progrès fulgurants de l'optogénétique, qui occupe les deux tiers de ses activités. « On est devenu la marque la plus connue, je crois, dans le monde des neurosciences. »

Car il s'agit véritablement d'un monde.

« On a compté plus de 500 instituts d'étude du cerveau au niveau mondial, tous bien financés. On sert un marché global. » - Sead Doric

L'entreprise compte 65 employés, dont le tiers se consacrent à la recherche. « On travaille quotidiennement avec les gens de MIT, Stanford, Caltech », assure Sead Doric.

L'entreprise vient de terminer l'aménagement de son nouveau centre de recherche de 10 000 pi2. « On lance chaque année de 20 à 30 nouveaux produits. »

Des produits comme les versions hybrides de son joint rotatif, qui permettent la transmission simultanée de signaux optiques, de signaux électriques et de fluides.

« Avant, les laboratoires de physique, c'étaient de grandes tables stables avec des lasers, décrit-il. Maintenant, le laboratoire est au niveau cellulaire, dans le cerveau des souris, dans les petites cellules. Et en plus, notre échantillon bouge ! »

Doric Lenses aussi.

DORIC LENSES EN BREF

Qui : Sead Doric, président de Doric Lenses

L'idée : des dispositifs d'optogénétique

L'ambition : « Juste suivre la vague ! »

Il y croit et y a investi de l'argent : Sead Doric