Convaincus que leurs enfants sont morts à cause d'un défaut de fabrication de la Chevrolet Cobalt qui est devenue leur tombeau, deux couples de parents québécois s'apprêtent à poursuivre General Motors, après le rejet de leur demande par le programme d'indemnisation lié au rappel de 2,6 millions de véhicules défectueux, en 2014.

Au moins cinq Canadiens sont morts dans des accidents causés par un défaut du commutateur d'allumage de voitures GM, selon les données fournies à La Presse par le programme d'indemnisation du constructeur automobile. Sept Canadiens ont été blessés, dont un gravement.

Au Canada et aux États-Unis, le programme a offert des indemnités aux familles de 124 personnes décédées.

Transports Canada n'est au courant que d'un seul décès au pays lié à ce défaut, a expliqué une porte-parole gouvernementale dans un courriel.

Le fonds d'indemnisation de GM a accepté de verser des compensations financières à 12 victimes canadiennes ou à leurs familles, mais a rejeté 153 demandes.

Parmi les dossiers refusés, on compte ceux des parents de Mélissa Tanguay-Thériault et de Sébastien Bernatchez, morts en août 2010 dans un violent accident à Les Cèdres, à l'ouest de Montréal. La Chevrolet Cobalt 2006 conduite par la jeune femme de 20 ans a foncé dans une maison, peu après minuit.

Il n'y a pas de courbe à cet endroit. Aucune trace de freinage n'était visible sur la chaussée et les coussins gonflables ne se sont pas déployés.

Mélissa Tanguay-Thériault est morte sur le coup. Sébastien Bernatchez, 22 ans, a succombé à ses blessures deux semaines plus tard.

«Comme l'accident impliquait des jeunes, les policiers ont conclu rapidement que la vitesse et l'alcool étaient en cause, dit la mère de Mélissa, Lise Tanguay. Mais les tests toxicologiques n'étaient pas concluants.»

Autre accident, même modèle de voiture

Leurs parents n'ont jamais soupçonné une défectuosité de la voiture, jusqu'à ce qu'ils voient un reportage de Radio-Canada, l'automne dernier.

On y racontait l'histoire de Dany Dubuc-Marquis, de Granby, mort en 2013 au volant de sa Chevrolet Cobalt 2007. Comme les coussins gonflables n'avaient pas fonctionné, son père, Normand Dubuc, avait demandé une enquête de Transports Canada.

Les parents de Dany Dubuc-Marquis ont été indemnisés par le programme de GM en avril dernier. Les ententes sont confidentielles, mais le fonds prévoyait au moins un million pour les familles des victimes.

Les parents de Mélissa et de Sébastien ne savaient pas que les coussins gonflables ne s'étaient pas déployés lors de l'accident qui a tué leurs enfants. C'est après le reportage, qui mentionnait une voiture du même modèle que celle de Mélissa, qu'ils ont demandé le rapport de police et fait les démarches pour être indemnisés.

GM a reconnu que les commutateurs d'allumage de 2,6 millions de véhicules vendus pendant plusieurs années comportaient un défaut: ils pouvaient se mettre en position «accessoire» à cause d'un cahot ou d'un porte-clés trop lourd. Le moteur et les circuits électriques s'éteignent alors, ce qui désactive les sacs gonflables, les ceintures de sécurité, la direction assistée et les freins antiblocage.

Les parents de Mélissa et de Sébastien sont convaincus que cela explique la sortie de route de la jeune femme.

«Leur accident s'est produit dans les mêmes circonstances que celui de Dany Dubuc-Marquis. On ne comprend pas le rejet de la demande de leurs parents», dit leur avocate, Me Leilani Piette.

Les preuves dans la boîte noire

Le seul élément de preuve qu'ils n'ont pu fournir avec leur demande d'indemnisation est la boîte noire du véhicule. «La boîte noire est partie à la ferraille avec la voiture. On ne savait même pas que ça existait, comment pouvait-on savoir qu'il fallait la garder?», demande Marc Thériault, père de la jeune femme.

«C'est évident que la plupart des gens n'ont pas accès aux boîtes noires, explique George Iny, président de l'Association pour la protection des automobilistes (APA). Les assureurs ou la police peuvent y avoir accès, mais ils ne les vérifient pas systématiquement.»

M. Iny est étonné du rejet de la demande d'indemnisation pour l'accident de Mélissa et Sébastien. «Les administrateurs du programme avaient dit qu'ils seraient très souples, et que les cas où les sacs gonflables n'ont pas fonctionné seraient généralement acceptés.»

Les parents des deux jeunes gens ont l'intention de poursuivre GM devant la justice américaine. Ils ne peuvent s'adresser aux tribunaux québécois, puisque le régime d'indemnisation sans égard à la faute empêche les recours pour des décès ou des blessures.

Selon George Iny, c'est le gouvernement qui devrait poursuivre GM pour sa négligence, notamment la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ). «La SAAQ a fait des paiements aux victimes de ces accidents causés par un défaut de fabrication. Avec la preuve de la négligence du constructeur, elle devrait le poursuivre.»

Les parents des victimes sont pour le moment soulagés de comprendre ce qui a pu causer la mort de leurs enfants. «Pendant quatre ans, on croyait que Mélissa était la seule responsable, dit sa mère. Nous sommes maintenant convaincus que c'est la défectuosité de la voiture qui est en cause.»

«Ces gens-là n'iront jamais en prison, ajoute Murielle Trenson, mère de Sébastien Bernatchez. Le seul moyen de leur faire mal, c'est de les faire payer.»

--------------

Pour vérifier si votre voiture est visée par un rappel: https://www.tc.gc.ca/fra/securiteautomobile/VehiculesSecuritaires-Enquetes-index-76.htm

---------------

2,6 millions

Nombre de voitures équipées de démarreurs défectueux

625 millions

Fonds prévu par GM pour indemniser les victimes

280 millions

Montant versé au 17 juillet 2015

900 millions

Pénalité financière versée par GM aux autorités des États-Unis pour éviter des accusations criminelles

0$

Sanctions imposées à GM par les autorités canadiennes

1800

Nombre de poursuites civiles aux États-Unis

17

Nombre de recours collectifs au Canada