Le 25 août 2005, la vie de 9200 épargnants-investisseurs basculait brutalement. Le scandale Norbourg éclatait au grand jour. Une fraude de 130 millions fabriquée de toutes pièces par Vincent Lacroix et ses collaborateurs. Dix ans plus tard, a-t-on tiré des leçons du plus grand scandale financier de l'histoire du Québec?

RETRAITES GÂCHÉES ET ILLUSIONS PERDUES

Le nombre des victimes du scandale Norbourg est de 9200 - autant d'histoires de rêves brisés et de tragédies familiales. Parmi ces investisseurs floués, Réal Ouimet et Jean-Guy Houle sont devenus malgré eux des figures publiques. Dix ans plus tard, ils reviennent sur ces jours bien sombres de leur vie. 

Réal Ouimet se souvient de la journée du 25 août 2005. « Ce jour-là, raconte-t-il, j'ai reçu un coup de fil de mon planificateur financier [Francis Rosso]. Il m'a dit: ''Tombe pas sur le dos, ils ont saisi ton fonds de retraite!'' »

« Je lui ai répondu: je n'ai pas affaire à lui pantoute [Vincent Lacroix]. Je ne connaissais même pas le nom de Norbourg. »

Réal Ouimet avait pris sa retraite un mois plus tôt, après 28 ans comme directeur de la police de Bromont.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

L'ancien directeur de la police de Bromont Réal Ouimet

« Je n'avais pourtant pas mis mon argent dans des actions de Canadian Tire, mais à la Caisse, ajoute-t-il. Pour moi, c'était le gouvernement. »

La réalité l'a toutefois bien vite rattrapé. Il avait été floué, comme les milliers de victimes de Vincent Lacroix, à qui les épargnes d'une vie ont été volées.

Réal Ouimet a dû renoncer à une retraite confortable et retourner sur le marché du travail. Pour gagner sa vie, il a travaillé à Ski Bromont-parc aquatique.

« Le propriétaire, qui avait su pour mes déboires, a eu de la sympathie pour moi, dit-il avec émotion, 10 ans plus tard. Il m'a proposé de m'occuper de la sécurité, avec 15 employés.

« Les journalistes venaient me voir pour m'interviewer et des touristes me prenaient dans leurs bras pour me dire qu'ils avaient de la peine pour moi. On me disait que Lacroix avait frappé des ''vieux'' à la retraite ».

Il a récupéré, selon ses calculs, 70 % de la somme qu'il avait investie.

JEAN-GUY HOULE: DES ILLUSIONS PERDUES

Jean-Guy Houle a perdu toutes ses illusions. « On ne se remet pas de ça », dit-il, résigné.

Il avait placé 195 000 $ dans les Fonds Évolution, en misant sur le fait que « la Caisse de dépôt veillait à mes intérêts ». Cette somme constituait une partie de l'héritage de ses deux petites-filles.

Il faut préciser qu'à l'hiver 2003, son fils unique, sa bru et une de ses petites-filles avaient péri dans un accident de la route, dans l'est de Montréal.

Jean-Guy Houle avoue avoir « très mal dormi » lorsque le scandale Norbourg a été mis au grand jour. Il a alors revécu en accéléré le drame qui lui a fait perdre ce qu'il avait de plus cher: sa famille.

Il était pourtant venu bien près de « sortir les fonds » des griffes de Vincent Lacroix, quelques mois avant que tout dégénère.

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Jean-Guy Houle dit avoir récupéré 77,63 % des 195 000 $ investis.

Le grand-père des orphelines dans l'affaire Norbourg - on l'a vu à maintes reprises intervenir aux côtés de la plus vieille des deux, Daphney, qui a aujourd'hui 21 ans - continue de faire des placements avec l'aide de son courtier.

« Il sait très bien que je ne veux pas prendre de risques, ce que je n'ai jamais fait, d'ailleurs, dit-il. Je fais des placements dans les grandes institutions financières. Je suis mes rendements de près. »

Sa « grande », comme il surnomme affectueusement Daphney, a elle aussi appris de l'affaire Norbourg. « C'est comme si elle a acquis une formation en finances personnelles, constate-t-il. Elle n'est pas dépensière pour un sou et elle voit à ses affaires. »

Jean-Guy Houle s'est battu pour ravoir l'argent de ses petites-filles. « J'ai reçu le dernier chèque de la firme Ernst & Young il y a trois ans. Il y a tout de même un peu plus de 20 % du montant qui m'était dû qui va toujours manquer... »

Il estime avoir récupéré 77,63 % des 195 000 $ investis.

OÙ EST PASSÉ L'ARGENT?

Avant que la GRC et l'AMF débarquent dans les locaux de Norbourg, le 25 août 2005, Vincent Lacroix avait eu le temps de dilapider l'argent de ses victimes en achetant des maisons pour lui et les membres de sa famille, en faisant des cadeaux ou encore en menant une vie de jet-set.

Somme dépensée par Vincent Lacroix, de 2003 à 2005, pour acquérir 14 propriétés à son nom, celui de sa conjointe, de collaborateurs et d'employés

7,3 MILLIONS

Sommes versées, de 2002 à 2005, en salaires, bonus et avantages de toutes sortes aux employés, amis et membres de la famille de Vincent Lacroix

750 000 $

Prix d'acquisition du chic restaurant Le Grand Café, rue Union, près du boulevard René-Lévesque Ouest

150 000 $ 

Facture annuelle consacrée aux « divertissements » de Lacroix et sa bande dans un bar de danseuses de la rue Stanley, au centre-ville de Montréal

31 286,80 $ 

Achat d'un collier de diamants et saphirs, en décembre 2003, chez Henry Birks et Fils pour sa conjointe

75,1 MILLIONS

Somme qui restait dans les coffres à la fin de Norbourg (les relevés « officiels » faisaient état d'une somme de 205,2 millions)

LES SOMMES VERSÉES AUX VICTIMES

29 JUIN 2006

Ernst & Young distribue 5600 chèques totalisant 32 millions aux épargnants-investisseurs floués par Vincent Lacroix.

19 janvier 2007

Le Fonds d'indemnisation des services financiers remet 31 millions à 925 investisseurs qui ont été bernés par Lacroix et sa bande.

19 janvier 2011

L'AMF, la firme comptable KPMG, le vérificateur de Norbourg, le cabinet Beaulieu Deschambault, Northern Trust et la société de fiducie Concentra accordent 55 millions aux victimes, dans le cadre du règlement d'un recours collectif.

(À la fin, les investisseurs de Norbourg ont touché plus ou moins 75 % des sommes qui leur étaient dues; les frais juridiques, notamment, ont amputé les remboursements.)

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