Des entreprises qui ont été victimes de vendeurs itinérants, en 2008, ont eu gain de cause contre le fournisseur de gaz naturel Superior Energy Management, récemment. Ce dernier devra payer des centaines de milliers de dollars à des entreprises québécoises qui se sont retrouvées prises sans le vouloir, et pire, sans le savoir, avec un coûteux contrat de gaz à prix fixe.

Les vendeurs itinérants, fournis par Cubic Gaz inc., mais identifiés à Superior Management, étaient rémunérés à la commission sur leurs ventes. Le problème, c'est que certains d'entre eux arrivaient dans les entreprises sans s'annoncer, ce qu'on appelle un « cold call » dans le jargon, et faisaient signer des contrats à des personnes qui n'étaient pas en autorité. Par exemple, un commis comptable, une réceptionniste, un superviseur... Les vendeurs repartaient au bout de 15 ou 20 minutes, avec des contrats liant l'entreprise pour les cinq prochaines années, ce qui représentait souvent des centaines de milliers de dollars, voire plus de 1 million.

Ceux qui ont signé ne connaissaient pas la réelle teneur des documents, selon ce qui a été démontré lors de six recours, entendus par le juge André Wery.

« Il était anormal qu'on puisse obtenir de telles signatures en quelques minutes sur des contrats de cette importance. Ce seul fait aurait dû mettre l'agent [le vendeur] en garde sur la compréhension de la personne qui signait, et sur la capacité de cette personne d'engager l'entreprise », a noté le juge.

DÉRÉGLEMENTATION

Gaz Métro a le monopole de la distribution du gaz au Québec, sauf à Gatineau. À la suite de la déréglementation du marché du gaz, Superior Energy Management, entreprise ontarienne, a obtenu, comme d'autres, le droit de vendre du gaz au Québec, selon un plan à prix fixe. Ce plan, qui peut aller jusqu'à cinq ans, oblige le consommateur à acheter de Superior le gaz qui continue de lui être livré et facturé par Gaz Metro.

Cela a d'ailleurs contribué à mystifier les entreprises. Parmi elles, on retrouve les Laboratoires Delon, les Écuries Youville et Propriétés De Bullioon, l'aréna Sportplexe, l'hôtel Brossard, Fourgons Transit, une ébénisterie... Toutes utilisent le gaz naturel comme source d'énergie.

La plupart ont découvert qu'elles étaient liées par contrat avec Superior au bout de plusieurs mois, lorsqu'elles s'apercevaient de l'augmentation marquée des coûts. Mais il était trop tard, il n'y avait plus moyen d'annuler, à moins de payer une faramineuse pénalité. Superior Management restait inflexible.

Les entreprises ont été contraintes d'intenter des poursuites en Cour supérieure. Elles le faisaient chacune de leur côté, sans savoir qu'elles n'étaient pas seules dans cette situation. À un certain moment, quelqu'un s'en est aperçu et six actions ont été réunies, malgré l'opposition de Superior. Le juge Wery a pu voir les similitudes. Il est à noter que les litiges impliquaient les mêmes trois vendeurs.

SIGNATURE

Lors du procès, Superior a soutenu qu'en ne lisant pas ce qu'ils signaient, les signataires avaient commis une erreur inexcusable, et qu'il n'y avait pas lieu d'annuler le contrat.

« L'erreur est toujours excusable lorsqu'elle a été provoquée par le dol de l'autre », a ajouté le juge.

D'autre part, le temps est révolu où une signature scellait un contrat, sans égard aux circonstances. Les bonnes pratiques commerciales sont une priorité, a souligné le juge.

Superior soutenait aussi que les entreprises avaient eu le loisir d'annuler le contrat, en renvoyant un coupon-réponse contenu dans des documents qui leur étaient postés dans les semaines après la signature. Mais ces documents, identifiés au nom de Gaz Métro, avaient l'apparence de publicité non sollicitée. Ils étaient classés ou prenaient le chemin de la poubelle sans être lus. Si bien qu'à la suite des plaintes, Gaz Metro a inscrit sur les enveloppes qu'il y avait des « documents importants » à l'intérieur.

Superior alléguait par ailleurs que les entreprises avaient choisi ce prétexte pour faire annuler un contrat dûment signé, mais qui s'était révélé moins avantageux que prévu. Si le coût du gaz avait augmenté, au lieu de baisser, ils auraient été bien contents. Cet argument n'a pas fait le poids face à la preuve.

Le juge Wery a donné gain de cause aux six entreprises. Superior doit leur rembourser le surplus qu'elles ont payé avec le plan à prix fixe, qui s'est révélé très désavantageux. Le gaz coûtait parfois trois fois plus cher. Il est à noter que dans trois des dossiers, Gaz Metro est condamné conjointement avec Superior Energy Management.

Marie-Christine Demers, porte-parole de Gaz Metro, estime qu'il s'agit d'une minorité qui s'est retrouvée dans cette situation, des « cas isolés. »

Ce n'est pas l'avis d'autres intervenants. « Mon client a été frappé pour 300 000 $, indique Me Donald R. Michelin, qui représente Écuries Youville et Propriétés De Bullion. Tout ça s'est passé sous le radar au Québec. Je suis persuadé qu'il y en a d'autres. Mais qui va prendre le temps de retourner en arrière pour voir si un document a été signé dans la compagnie ? C'est peut-être prescrit », dit-il.

Superior a jusqu'au 12 juin pour en appeler. La Presse a tenté sans succès de parler à l'avocate qui représente Superior.